L’Asset Recovery Unit (ARU), jusqu’à présent sous la tutelle du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP), sera transférée à la Financial Intelligence Unit (FIU). C’est ce que prévoit l’Asset Recovery (Amendment) Bill, qui a été voté sans amendement à l’Assemblée nationale, ce mardi 24 novembre. Cela malgré les points soulevés par l’opposition. Et avec des interventions remarquées de Paul Bérenger, Shakeel Mohamed et Reza Uteem, le ministre Bhadain réfutant chacun des points soulevés lors de son résumé des débats. Les travaux ont pris fin vers 21h, après un peu plus de quatre heures de débats.

C’est le leader de l’opposition qui a entamé les débats. Paul Bérenger insiste qu’il a toujours affirmé « fermement » et « publiquement » que le DPP ne devait en aucun cas prendre la responsabilité de l’ARU. Car, selon lui, le rôle de celui-ci sera « dangereusement dénaturé ». C’est une question de principe et d’institutions, poursuit-il, il ne faut surtout pas en faire une « affaire personnelle ».

Le modèle britannique

Aller de l’avant avec ce projet, c’est risquer de « dénaturer » à la FIU, explique le leader de l’opposition. Les qualifications requises pour être directeur de la FIU, explique Bérenger, sont différentes de celles nécessaires pour diriger l’Asset Recovery Unit. « Que se passera-t-il pour ceux qui traitent l’Asset Recovery au bureau du DPP ? », avance-t-il, se demandant combien accepteront d’être transférés à la FIU.

Si Bérenger n’est pas opposé au transfert de l’ARU, il n’est cependant pas à l’aise avec l’idée de remplacer le DPP par la FIU. Le DPP est en lui-même une institution, fait-il valoir. Ce qu’il faut, déclare Bérenger, c’est mettre sur pied, comme promis dans le programme gouvernemental, la Financial Crime Commission (FCC). « La meilleure façon est de s’inspirer du modèle britannique » pour mettre en place le nôtrelance-t-il. Où, dit-il, la FIU et l’ARU sont deux institutions différentes. « Ce remue-ménage temporaire ne fera que causer des dégâts à la FIU» Et de suggérer, comme Uteem plus tard, de maintenir l’ARU sous la tutelle du DPP et de créer la FCC, en soustrayant au DPP ses pouvoirs d’enquête.

Il n’est pas possible de mettre sur pied la FCC aujourd’hui, affirme Bhadain. Mais dès que possible, concède-t-il au leader de l’opposition. Il faudra d’abord amender une série de lois. Mais, surtout, s’assurer que le système approprié soit en place, ce qui n’est pas le cas actuellement, fait-il comprendre.

Une question de contrôle

Shakeel Mohamed dit constater, pour sa part, une certaine « allergie » envers le DPP. Rappelé à l’ordre par la Speaker, le chef de file du parti travailliste déclare que c’est le ministre qui a ouvert la porte en déclarant que l’ARU n’a recouvré que Rs 9 millions. Or, « à aucun moment, Roshi Bhadain ne parle des avoirs gelés ou des comptes à usage restreint. A aucun moment, il ne parle de l’argent déposé à la Banque de Maurice. Des devises étrangères à la State Bank. Des biens saisis. »

Reconnaissant son erreur sur les comptes de l’ARU déposés à l’Assemblée nationale – « j’ai été mal informé » –, le ministre des Services financiers insiste toutefois sur le bilan peu convaincant de l’ARU depuis sa création. Précisant au passage que seules Rs 6 millions ont été reversées au Consolidated Fund, le reste ayant été utilisé pour régler des « frais ». Il en était de même pour le pendant britannique de cette institution financière, dit-il, qui a coûté plus qu’il n’a rapporté.

L’une des craintes majeures vis-à-vis de ce projet de loi, fait comprendre Shakeel Mohamed, est que l’institution soit un outil politique. L’ARU dépendra, dit-il, d’un exécutif dont les membres sont des nominés politiques. « Met li anba lopozision », lui lance, à un moment donné, Roshi Bhadain. « Nous refusons de toucher toute chose qui l’a été par ce gouvernement », rétorque Shakeel Mohamed.

Celui-ci dit craindre pour le fonctionnement de l’ARU sous la FIU, une relation de maître-esclave. « Nous savons tous qui est le maître,  soutient le député rouge. Nous savons tous qui sortira son fouet et qui sautera. » Pour le chef de file des travaillistes au Parlement, il est clair que le gouvernement veut « se débarrasser du DPP. Il est seulement question d’avoir le contrôle ».

Durant son intervention, Shakeel Mohamed est interrompu en de nombreuses fois par le ministre de la Bonne gouvernance. Ce qui fait dire à Bérenger : « Il montre comme il est faible. »

Bhadain, souligne le député travailliste, s’en est pris au DPP alors qu’il était sur une plateforme internationale, à St Pétersbourg. Il n’y a pas non plus eu de consultations, dit-il, avec le bureau du DPP sur le transfert de l’ARU. Point que balaie Bhadain en citant un communiqué du DPP où celui-ci dit ne pas être opposé au transfert de l’ARU qui relève d’une décision administrative.

Abus de pouvoirs…

Si le directeur de la FIU est nommé par le président, sur recommandation du Premier ministre après consultation avec le leader de l’opposition, celui-ci indique qu’il n’avait pas approuvé l’actuel directeur. Celui-ci est en poste depuis février. L’institution qu’il dirige exigeant quelqu’un avec suffisamment de « maturité » et « d’expérience » œuvrant en toute indépendance du ministère des Services financiers, dont dépend la FIU.

Un avis que ne partage pas Roshi Bhadain, qui a rappelé les brillantes études de Guillaume Ollivry à l’université de Kent. Et le fait que celui-ci a été invité, cette année, par la Commission européenne à faire partie d’un panel d’experts. Certes, la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA) dispose que le directeur de la FIU doit avoir une « substantial experience ». L’avis légal du Solicitor General, dit-il, a estimé que Guillaume Ollivry en a.

En intégrant l’ARU à la FIU, poursuit le ministre, il n’est pas question d’outil politique « car peu importe, il faudra passer par le judiciaire. C’est le juge qui décide ». A moins que, dit-il, l’on soit en train de suggérer que « le judiciaire est manipulé politiquement ». Ses adversaires insistent sur la connexion politique ? Bhadain balance : le DPP Satyajit Boolell est le frère d’Arvin Boolell. Avant de conclure : « Cette démagogie, ces bêtises doivent cesser », martèle-t-il.

Et c’est à une véritable sortie en règle contre le DPP que s’est livré le ministre. La FIU, dit-il, n’acquerra pas de pouvoirs additionnels puisqu’elle est déjà habilitée, par exemple, à vérifier les comptes en banque, comme l’ARU. « L’objectif n’est pas le même », a rappelé Bérenger. Certes, a concédé Bhadain, mais il y a risque d’abus si ce pouvoir est laissé entre les mains du DPP, soutient-il. Celui-ci peut non seulement inspecter les comptes d’individus mais aussi de « financial institutions », « managing companies » incluses. Ce qui peut être une menace pour l’ensemble de notre secteur de Global Business, soutient le ministre.

D’ailleurs, allègue-t-il, le DPP a déjà été fouillé dans des comptes de compagnies « pour des raisons personnelles ». Et c’est nulle autre que Bérenger, rappelle Bhadain, qui avait dénoncé cela. Maya Hanoomanjee le rappelle à l’ordre, insistant sur le fait qu’on ne peut discuter de la conduite du DPP. « He’s talking about my conduct », lâche alors Paul Bérenger. Bhadain a maintenu ses propos, arguant qu’il fait état de « faits ».

Avec cette loi, le gouvernement vient « corriger une anomalie » en revoyant les « lethal powers » dont dispose actuellement le DPP. Celui-ci, explique Bhadain, peut enquêter et entamer des poursuites, ce qui laisse la porte ouverte aux abus. La FIU, en revanche, ne loge pas de poursuites.

«Une grande hypocrisie»

Dans son résumé des débats, le ministre de la Bonne gouvernance a fait ressortir que personne n’a relevé trois points essentiels concernant l’ARU. Et qui sont pourtant fortement contestés dans le cadre des débats publics sur le Good Governance and Integrity Reporting Bill. Ainsi, en novembre 2013, soit quelques mois à peine après la promulgation de l’Asset Recovery Act, des amendements ont été apportés pour la rendre rétroactive sur dix ans. La loi prévoit également le renversement de la charge de la preuve. Et que les applications en Cour relèvent de procédures civiles.

Si Bhadain a chaleureusement remercié Paul Bérenger pour ses « propositions constructives », il a été moins tendre envers Reza Uteem. Le ministre a ainsi rappelé que lors des débats en 2013, le député mauve avait proposé de « criminaliser » l’enrichissement illicite.

Alors que le ministre de la Bonne gouvernance réfutait les points soulevés par le député mauve, l’atmosphère était très tendue, avec de fréquentes interruptions de part et d’autre de l’hémicycle.

« Il voulait qu’on envoie les gens en prison », a raillé Bhadain. De même, le député MMM était alors d’accord pour le renversement de la charge de la preuve pour « lutter contre la mafia ». Et avec les autres amendements apportés à la loi régissant l’ARU. « Il y a là une grande hypocrisie », note Bhadain.

Ce projet de loi, concède le ministre, est une « mesure temporaire » en attendant la création de la FCC. Mais il vient « corriger une anomalie », soutient Bhadain. Et poser les jalons du nouveau système qui sera discuté la semaine prochaine.

La séance a été ajournée au mercredi 2 décembre à 11h30.

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