Admettons que Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam sortent indemnes de l’appel dans l’affaire Medpoint pour l’un et des procès Roches-Noires et des coffres-forts pour l’autre. Les deux leaders politiques seront alors les seuls prétendants réels au poste de Premier ministre lors des prochaines législatives. Que le pays soit appelé aux urnes dans quatre mois ou durant le trimestre suivant la dissolution de facto du Parlement, le 21 décembre 2019, c’est sur les épaules des patrons du MSM et du Parti travailliste que reposera la responsabilité de la victoire.

A grands coups de débats et réflexions en tous genres, divers groupes de bien-pensants s’attèlent en ce moment à prêcher la bonne parole. Ici sur l’urgence d’un renouvellement de la classe politique. Là, sur la nécessité de réfléchir de manière plus fondamentale aux défis économiques, sociétaux et environnementaux qui nous guettent. Ils n’ont pas tort. Mais ont-ils aussi raison d’oublier qu’il n’existe pas de contre-pouvoir effectif à Maurice ? Le Parlement et le bâtiment du Trésor étant sous le contrôle d’un même leader politique.

On s’apprête même à faire pire. Car la «réforme» électorale – qui pourrait obtenir suffisamment de soutiens de l’opposition pour être adoptée – ne favorisera pas l’émergence de nouvelles forces politiques. Au final, cette escroquerie politique aura deux effets. D’abord, envoyer davantage d’élus des partis mainstream à l’Assemblée nationale et, le cas échéant, leur assurer une belle retraite de parlementaire après deux mandats. Ensuite, transformer les leaders politiques en Electoral Supervisory Commission bis en leur octroyant le pouvoir discrétionnaire de nommer leurs best losers. On voit mal comment notre démocratie et sa pluralité en ressortent renforcées.

Avec ou sans réforme électorale, les prochaines législatives auront ainsi un air de vieux feuilleton archi rediffusé. Sauf que cette fois-ci, le remake de la série sera plus violent, plus idiot et plus vulgaire que jamais. Qu’est-ce qui nous permet de dire cela ? C’est la posture qu’adoptent déjà Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam. Les noms d’oiseaux – de «tonton cigare» à Pinocchio – succèdent aux allusions scabreuses sur la vie privée de l’un ou de l’autre.

Et la raison dans tout ça ? «On parlera de programme et de bilan», objecteront ceux qui se font encore une haute opinion de leurs leaders. Hélas, comme pour les législatives précédentes, les blocs politiques ne rendront public leurs manifestes électoraux qu’à la dernière minute. Les médias feront peu ou prou leur travail en les disséquant et en installant les débats les plus pressants. Le grand public, lui, fera comme il a l’habitude : ne prêtant attention qu’à quelques mesures phares et en ne s’attardant que peu, voire pas du tout, sur ce que proposent plus globalement les principaux partis politiques.

Reste le bilan. Rien n’indique, pour l’heure, qu’il sera articulé autour de l’économie. En tablant sur une hypothèse de croissance de 4,1% en 2018 et 4,2% en 2019, la moyenne quinquennale de ce gouvernement sera de 3,7%. C’est 0,1% de moins que celui du régime dysfonctionnel de Ramgoolam entre 2010 et 2014. Mais aussi 0,16% en deçà de la moyenne de l’alliance MSM-MMM entre 2000 et 2005. Dans un gouvernement qui avait dû gérer l’après 11 septembre 2001 ainsi qu’une grave crise dans le secteur textile.

Restent les grands projets d’infrastructures : Metro Express, ponts, routes. Mais encore faudra-t-il qu’ils soient terminés à temps pour être vendus convenablement sur la radiotélévision nationale et les autres médias à la solde du pouvoir. Faute de quoi, les électeurs ne retiendront que les perturbations que les chantiers entraînent dans leur vie quotidienne.

Loin d’une réelle confrontation de bilans, à des années-lumière d’idées et de projets de société innovants, la campagne sera essentiellement axée autour d’une litanie d’attaques personnelles. Si Pravind Jugnauth questionne les mœurs de Navin Ramgoolam, le camp des rouges aura le loisir de le reprendre sur les faits d’armes de quelques-uns de ses proches collaborateurs. Dont l’âge et la santé précaire leur font courir le risque de finir comme le président français Felix Faure.

Ainsi, si la campagne de 2014 a vu l’explosion du phénomène Vire Mam, il faudra prévoir des dizaines de montages de ce type dans les mois à venir. Les productions malignes côtoieront les clips les plus outranciers et les fake news savamment concoctées et diffusées. Transformant les réseaux sociaux – principalement Facebook – en champ de calomnie permanente.

Pour les prochaines législatives, plus de 25% de l’électorat seront composés de jeunes entre 18 ans et 29 ans. Hyper connectés et accros aux réseaux sociaux, ils effectueront leur choix – si tant est qu’ils votent – derrière leurs écrans de portables et d’ordinateurs. Après s’être abreuvés des buzz dans les médias ainsi que des spectacles et rodomontades fournis par les partis et leurs leaders.

Avides de politique cinéma et de langage anba laboutik, ou otages d’un système électoral qui ne tient pas en compte leur aspiration pour un renouveau politique, les Mauriciens assisteront probablement à la campagne électorale la plus superficielle qu’on a connue jusqu’ici.

Ils feront semblant de parler de l’avenir de la nation. Ils prétendront qu’ils sont les plus aptes à défendre les intérêts des citoyens. Mais en réalité, la campagne ne se résumera qu’à deux leaders clamant tout à tour : mwa ki mari.

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