Pravind Jugnauth ne le savait pas. Son équipe non plus. Ils ont découvert, avec les autres Mauriciens, que la radiotélévision nationale avait décidé d’un black-out total sur les incidents de la Butte et Barkly dans ses bulletins d’information de ce vendredi. Sous le coup de la colère, le Premier ministre a presque ordonné le limogeage de Mekraj Baldowa dans un premier temps. Avant de revenir à de meilleurs sentiments, vu qu’une telle décision nécessite une procédure lourde, et non une délibération expresse d’un conseil d’administration spécial de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC). Cet épisode illustre, en fait, l’impréparation et les dysfonctionnements sur l’exécution du projet Metro Express. Cette attitude a déjà eu des conséquences désastreuses sur l’image du gouvernement et de son patron.

De toute évidence, la somme de travail qui aurait dû être abattue en amont ne l’a pas été. Le 31 juillet dernier et les jours suivants, nous avons découvert l’existence d’une cellule de communication dédiée au projet Metro Express. Or, la tâche de cette cellule s’est limitée aux sorties bling bling: le grand lancement, un entretien dirigé par les invités sur la MBC et des sorties sur les radios. Depuis, la cellule de com’ n’a pas donné signe de vie. Malgré le fait qu’une des étapes cruciales du projet allait débuter le 1er septembre avec le délogement des quelques irréductibles refusant de quitter leurs domiciles.

Il y avait tant de choses à dire et à expliquer en avance… ce qui aurait sans doute mis en perspective l’étendue réelle du problème à gérer. Mais c’est après coup qu’Etienne Sinatambou a expliqué – dans son style alambiqué et indigeste – que le tracé du métro léger n’a quasiment pas changé entre 2014 et 2017. Ce qui implique que les mêmes familles auraient été délogées sous un gouvernement PTr/MMM ou MSM/ML.

C’est aussi après coup qu’on a su que ce n’est qu’une toute petite minorité de personnes qui sont encore en litige avec le gouvernement. Ce n’est pas la cellule de com’ du Metro Express qui a démontré que, loin d’être des victimes sans le sou, les Rujubali sont de petits entrepreneurs qui voyagent régulièrement à Dubayy et en Chine. Et qu’ils ont probablement tenté un coup de poker de dernière minute malgré une offre de compensation correcte. Encouragés, probablement, dans leur entêtement par des soutiens politiques qui ont feint d’oublier que leur bail sur un terrain de l’Etat a expiré depuis le 30 juin 2013… et n’a pas été renouvelé par le gouvernement précédent. Tous ces faits n’ont pas été jugés importants par la cellule de com’. Occupée qu’elle était, comme d’habitude, à surtout démontrer le génie financier du projet Metro Express !

Que dire aussi de l’attitude des membres du gouvernement ? Avant les expropriations forcées du 1er septembre, des ministres en vue n’ont rien trouvé de mieux que de demander qu’on active la cadence des travaux. Quitte à malmener verbalement des hauts gradés de la police réticents à l’idée d’un passage en force. Ceux-là même qui, par superstition, ne songeraient pas à prendre la moindre décision politique pendant le Pitr Paksha ont ignoré l’effet qu’aurait l’expropriation de familles musulmanes à la veille d’une fête aussi importante que l’Eid ul Adha. C’est à croire que des ministres sont rentrés dans une folie furieuse de faire avancer les travaux… ou, tout au contraire, ont consciemment laissé traîner une peau de banane sur laquelle le gouvernement s’est fracassé la figure.

Ce 1er septembre a aussi été l’occasion de constater l’incompétence absolue de la police face à la situation. Si les policiers ont perdu leur calme face aux familles expropriées et refusé de respecter une décision de la Cour suprême, ils ont également paralysé toute la capitale pendant quelques heures. L’idée – d’une idiotie absolue – de fermer une artère principale comme la rue Mgr Leen pendant plusieurs heures a eu des conséquences désastreuses sur la circulation dans Port-Louis. Avec des automobilistes prenant une heure pour parcourir 3 kilomètres dans la capitale ! Du coup, ce n’est pas seulement la colère des personnes expropriées et de leurs voisins que la police a dû subir. Mais également la rage des milliers de Mauriciens prisonniers dans la capitale. Coincés dans le trafic à la sortie de bureau, ils ont eu tout le loisir d’écouter ce qu’il se passait à Barky et La Butte à la radio et de voir les vidéos live d’ION News et des autres médias en ligne.

Parlons-en, justement, de la couverture médiatique des expropriations. Peu importe l’inconscience ou la duplicité des familles expropriées, le fait de dénicher des personnes de leurs maisons et de détruire un pan de leur vécu est un drame. Les sanglots d’un homme à La Butte ou le désarroi d’une femme croyant pouvoir arrêter un bulldozer de la SMF en se plaçant devant celui-ci sont autant d’images poignantes qui ont ému les Mauriciens. Il est impensable que les experts en communication –Nando Bodha en est un – et les autres politiques aguerris du gouvernement n’ont pu prévoir que l’aspect dramatique et émotionnel des expropriations serait amplifié par la présence des médias diffusant cette actualité en live.

Recroquevillé dans sa carapace, le gouvernement s’est cru à l’abri. A la veille des expropriations manu militari, ION News a sollicité Nando Bodha sur la manière dont l’exercice allait se dérouler. Son index sur ses lèvres, le ministre des Infrastructures publiques a envoyé paître notre journaliste. Ce vendredi, à l’issue du Conseil des ministres, c’est avec arrogance qu’il a expliqué à nos confrères de Radio Plus : «Mo’nn fini travay, les mo al lakaz.» Le lendemain toutefois, le ministre a été saisi d’une furieuse envie de parler. Il s’est épanché sur une radio puis dans les colonnes d’un journal. Livrant au passage une condition jusqu’ici cachée du contrat liant le gouvernement au constructeur Larsen & Toubro.

L’opposition, elle, n’a pas attendu. Opportunistes, Shakeel Mohamed, Patrick Assirvaden, Navin Ramgoolam, Xavier Duval et d’autres se sont rendus au chevet des expropriés. Haussant la voix et se lançant dans des discours enflammés en faveur de la veuve et de l’orphelin dès l’approche d’une caméra ou d’un micro. L’absence de parole publique de Paul Bérenger sur les incidents et l’attitude généralement très responsable des dirigeants mauves lors des incidents ont, elles, fait jaser mais passons…

Face à cette escalade, le gouvernement a maladroitement tenté de répliquer. Sans Baldowa, invité à «step down», la MBC a utilisé les images d’ION News pour illustrer les événements de vendredi avec un angle précis. Sinatambou a fait son numéro du samedi, sans qu’on le prenne au sérieux. Showkutally Soodhun a tenté d’obtenir un temps d’antenne à la MBC pour y aller de son couplet… une proposition qui a été illico rejetée. Une association socioculturelle musulmane, spécialisée dans le cirage de pompes du gouvernement, a été appelée à la rescousse mais n’a réussi qu’à se ridiculiser. Bref, face à la série de défaillances et aux images diffusées dans les médias, tous les efforts du gouvernement pour redorer son blason ou même rééquilibrer les discours populistes de l’opposition – il y en a eu ! – ont été vains.

La Cour suprême, toutefois, n’a que faire des images des médias et des discours politiques. Elle décide en fonction du droit et du respect des procédures établies. Or, les expropriations ont été décidées, dans de nombreux cas, avant même que ce gouvernement ne soit élu. Des juristes aguerris du State Law Office ont passé en revue les procédures et donné leur opinion sur leur justesse depuis des années. On voit donc mal comment et pourquoi les familles devant être expropriées obtiendront un sursis ou, par une intervention judiciaire miraculeuse, une compensation bien plus élevée que celle déjà décidée.

Le gouvernement se réjouira alors. En affirmant avoir agi en toute légalité. Mais peu importe. Le mal est fait. En une journée, le pouvoir a permis à l’opposition d’engranger l’équivalent des bénéfices d’une année entière de campagne anti-gouvernement. Grâce à sa bande d’incompétents, d’inconscients et de paresseux, le slogan du Metro Express a déjà changé pour le gouvernement : du rêve au cauchemar.

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