L’expression, venant d’un non-hindou, empeste parfois le racisme. Mais les membres de la communauté majoritaire l’utilisent eux-mêmes volontiers pour qualifier ce mélange de jai de [expression bhojpuri désignant une tendance à abandonner facilement] et de suivisme auquel ils succombent trop souvent. Le malbar kouyon type est, en effet, souvent celui dont le parti politique préféré a pour symbole… l’Hôtel du gouvernement. Et dont le soutien est quasi-acquis dès qu’il entend : «mo pou fer ou tifi/garson gagn enn travay dan gouvernman.»

Fièrement, les présidents des associations socioculturelles hindoues les plus en vue incarnent habituellement le malbar kouyon moyen. Promettant monts et merveilles à leurs membres afin de se faire élire. Pour ensuite se réserver – ou distribuer à des happy fews – les avantages obtenus. Néanmoins, deux évènements récents nous conduisent à nous demander si le phénomène malbar kouyon ne perd pas du terrain.

Le 6 août, puis ce dimanche 20 août, les élections des comités de direction de la Mauritius Arya Ravived Pracharini Sabha (MARPS) et de la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation (MSDTF) ont livré des résultats inattendus. En dépit des efforts de ministres, députés et conseillers battant la campagne au Nord, dans l’Est et le Sud afin d’assurer l’élection des candidats pro-pouvoir. Résultat : zéro succès à la MSDTF, ce dimanche. Un élu sur douze à la MARPS, il y a deux semaines ! Via un vote discipliné, les membres de ces deux institutions ont refusé de choisir l’Hôtel du gouvernement comme symbole de leur camp.

Or, ces dernières années, on a pu mesurer à quel point la proximité des dirigeants d’associations socioculturelles avec le gouvernement peut rapporter gros. Somduth Dulthumun, le président sortant de la MSDTF et candidat battu à sa succession, avait été parachuté sur les conseils d’administration de la Development Bank of Mauritius et de l’Independent Broadcasting Authority d’où il a même exercé une certaine influence auprès de la radiotélévision publique. Le pandit Sungkur, ancien président de la MARPS, avait, lui, bénéficié d’un emplacement d’exception sur la plage de Trou-aux-Biches pour y construire son Ritum Coffee.

Si le prêtre hindou avait vire mam dès juillet 2014, il serait probablement toujours heureux en affaires à Trou-aux-Biches. Dulthumun a, lui, été beaucoup plus flexible. En juin 2014, dans les instants suivant sa réélection à la présidence de MSDTF, il avait reçu un appel de félicitation du Premier ministre d’alors. Il n’a néanmoins pas hésité à renier celui-ci pour se rapprocher du MSM au moment opportun. Trouvant illico sa place auprès des Jugnauth dès la proclamation des résultats des législatives de 2014. Depuis, il n’a cessé de chanter leurs louanges.

C’est ce qu’il a fait à nouveau, en début d’année, en décrétant au passage que l’institution est «condamnée à travailler avec le gouvernement du jour». L’entente entre le pouvoir et les deux organisations socioculturelles ne semble pas toutefois acquise. Car si à la MARPS, c’est une équipe hétéroclite et indépendante qui dirige l’institution, à la MSDTF, la nouvelle direction paraît avoir bénéficié du soutien actif des travaillistes, voire de leur chef. Pourquoi donc risquer des relations potentiellement conflictuelles avec le pouvoir pendant les deux ans et demi à venir en élisant une équipe qui suscitera la méfiance chez le gouvernement ?

Si, certain de revenir au pouvoir, Navin Ramgoolam a fait des promesses, les dirigeants actuels de ces organisations socioculturelles ne sont pas assurés d’être toujours en place à son retour, si cela arrive. A moins qu’ils croient que le changement de régime interviendra bien plus tôt que prévu et que leur soutien sera alors dûment récompensé. Cela n’augurerait rien de bon car au final, ce serait à nouveau un comportement de malbar kouyon. A vrai dire, tenter de répondre à ces questions revient à se perdre en conjectures.

Car peu importe qui dirige la MARPS ou la MSDTF, c’est à la manière dont ils sont élus qu’il faut s’intéresser. Dulthumun se targuait de représenter 400 000 Mauriciens de foi hindoue pendant sa quinzaine d’années à la présidence de sa fédération. En théorie, la MARPS peut également prétendre parler pour et au nom d’environ 175 000 personnes. Mais tout cela n’est qu’un leurre. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à recenser le nombre de personnes dépitées à l’idée de Dulthumun ou du président de la MARPS parlant en leur nom. Fondamentalement, les comités de direction des associations socioculturelles ne peuvent pas prétendre avoir un soutien populaire. Car ils ne sont élus que par une sorte de collège – influençable – de grands électeurs et non directement par leurs centaines de milliers d’adhérents.

Alors pourquoi ces deux élections représentent malgré tout de l’espoir ? Tout simplement parce que c’est habituellement la frange la plus orthodoxe ou la plus politisée des adhérents des associations socioculturelles qui participe à l’élection des dirigeants socioculturels. Or, si ceux habitués à préserver l’ordre établi choisissent désormais la défiance, on peut raisonnablement se demander si les membres plus ouverts d’esprit et progressistes de ces organisations socioculturelles ne sont pas prêts à effectuer d’autres choix politiques moins bornés à l’avenir.

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