Ferveur mystique. Casse-tête logistique. Querelles politiques. Coups médiatiques. Le pèlerinage de Maha Shivratri et les célébrations qui ont lieu à Ganga Talao, c’est tout cela. Chaque année, toute cette effusion apporte son lot d’inconvénients dont on s’accommode volontiers au nom de la tolérance. Par lassitude, on compose également avec le comportement des politiques et des dirigeants d’organisations socioculturelles – qui profitent là d’une belle occasion de bien se faire voir. La version 2018 de la célébration semble toutefois marquée par un sentiment de trop-plein.

Le pèlerinage a toujours été une épreuve de patience. Aussi bien pour ceux qui se rendent au Ganga Talao que pour les usagers de la route immobilisés par le flot des dévots. A grand renfort de visites des lieux et d’inaugurations de nouvelles bretelles d’accès, la Task Force, présidée par le Premier ministre, a donné l’impression d’avoir tout mis en œuvre pour assurer le bon déroulement du pèlerinage.

Mais de mémoire, aucun Maha Shivratri n’a été aussi chaotique que celui-ci. Ainsi, certains dévots se rendant du nord de l’île au Ganga Talao sont restés dans leurs voitures et bus pendant presque 12 heures, ce samedi. La preuve, s’il en fallait une, que malgré toutes les assurances, la gestion du trafic et des kanwars a été catastrophique à 15 km à la ronde de Grand-Bassin. Voir au-delà.

Parlons-en, justement, des kanwars. Il ne faut plus hésiter à le dire, Maha Shivratri est désormais devenu un festival. Un peu à la manière du Carnaval de Rio. Car pris dans une inutile démonstration de force, des groupes se sont mis en tête de construire des kanwars les plus longs, larges et hauts – les plus futiles aussi probablement, dont ceux qui occupent toute la largeur d’une rue.

On se demande vraiment si ces personnes comprennent le sens de ce pèlerinage. Si elles saisissent, aussi, le principe et l’origine du Kanwar Yatra. Ou encore, si elles ont compris la signification de la statue à l’entrée de Ganga Talao, rendant hommage aux premiers pèlerins qui sont allés au lac sacré, il y a un siècle et demi… un modeste kanwar juché sur l’épaule. Un peu comme le font encore les habitants d’Ecroignard et d’autres Mauriciens responsables.

Le sens de la mesure, il ne faut pas non plus l’attendre des chefs de partis. A coup de postures politiques, ils ont fait de Ganga Talao leur terrain privilégié de conquête depuis des années. Cette fin de semaine, Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth ont joué aux vierges effarouchées en prétendant le contraire. En effet, entendre le chef des travaillistes dire que Maha Shivratri est politisée pour la première fois revient un peu à écouter Donald Trump dire que les Etats Unis étaient fermés à l’immigration avant qu’il n’arrive au pouvoir.

En face, on fait tout autant dans l’hypocrisie. Pravind Jugnauth dit sur tous les tons qu’il ne compte pas politiser la fête. Or, sur sa page Facebook et dans les médias, afin de mieux asseoir l’image de «force tranquille» qu’on lui construit, le chef du gouvernement se décline un peu comme dans la série des Martine. Pravind marche jusqu’au lac. Pravind verse de l’eau sur le Shiv Ling. Pravind s’arrête en chemin pour se désaltérer en compagnie d’anonymes. Dans l’outrance, comme avec Ramgoolam, tout comme dans la simplicité feinte pour Jugnauth, la politique a une nouvelle fois été au centre de la célébration.

Ce ne sont bien évidemment pas les associations socioculturelles qui feront quoi que ce soit pour cela cesse. Si la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation (MSDTF) a eu pignon sur rue au Ganga Talao depuis des années, ce samedi, c’est un Rajendrah Ramdhean quelque peu remonté qui a mis en garde les «rats».

Une allusion et une menace à peine voilées à Pravind Jugnauth. Ce lundi soir, le Premier ministre boucle sa tournée de Maha Shivratri en assistant à la soirée de la Hindu House. Que la radiotélévision nationale retransmettra généreusement, sans doute, en direct. Surtout quand on sait que le très pro-MSM Viren Ramdhun ne manquera pas de rendre la monnaie de sa pièce au président de la MSDTF. Tout en ne lésinant pas sur les qualificatifs flatteurs au sujet du chef du gouvernement et de son mentor de père.

La somme des exagérations autour d’une fête aussi importante du calendrier hindou – dévoyée par des ignares – a conduit à une outrance supplémentaire qui aurait potentiellement pu être grave. Ce dimanche, un expatrié indien travaillant pour Larsen & Toubro ainsi qu’un Mauricien habitant Phoenix, tous deux des bénévoles dans la distribution de nourriture et de boissons aux pèlerins, sont allés trouver la police. Afin de rapporter qu’à l’avenue Sivananda à Phoenix, mais aussi à Vandermeersch, Rose-Hill, un ou des individu(s) est/sont venu(s) leur remettre des bouteilles de jus pour être distribuées.

Or, ayant ouvert les bouteilles, les deux hommes ont constaté qu’une forte odeur chimique provenait du liquide. La police, nous n’en doutons pas, enquêtera pour déterminer l’innocuité ou la dangerosité du jus et trouver le ou les auteurs de ce mauvais tour. Nous ne pouvons toutefois nous empêcher de penser que quelque part, une partie de l’exaspération suite aux exagérations de cette année a conduit quelques têtes brûlées à réagir de cette manière inacceptable.

Face aux égarements des uns et au milieu des outrances des autres, de belles images nous parviennent toutefois et nous forcent, un peu, à espérer. Comme ce cliché d’un Mauricien de confession musulmane affairé à soigner la cheville d’un pèlerin portant son kanwar à l’épaule. Loin de la folie carnavalesque de certains dévots et de l’opportunisme des responsables politiques et religieux, Maha Shivratri c’est avant tout cela : la solidarité et le respect envers ceux qui se sacrifient. Il faudrait qu’on s’en souvienne l’année prochaine…

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