C’est humain. Les uns vont vouloir canoniser Paul Lam Shang Leen, Sam Lauthan et le Dr Ravind Domun pour avoir rédigé un volumineux rapport sur un problème aussi complexe que celui de la drogue. Les autres seront tentés de ne retenir que les blâmes. Au sujet de la politique inadaptée de ce gouvernement à l’égard des toxicomanes. Ou contre l’inaction des gouvernants de 2005 qui n’ont pas su ou voulu mettre en œuvre le National Drug Control Masterplan 2004-2009. Dont les recommandations sont encore «very relevant and pertinent», notent Lam Shang Leen et ses deux assesseurs. Leur rapport contient toutefois quelques manquements.

Le premier, évident, est l’attitude de la commission à l’égard de Roubina Jadoo-Jaunbocus sur une accusation précise. Durant sa longue carrière de juge respecté et craint, Paul Lam Shang Leen a dû tenir en compte la notion de justice naturelle dans plusieurs de ses décisions. C’est justement pour cela qu’on ne comprend pas pourquoi il n’a pas été formellement demandé à l’ancienne ministre de s’expliquer sur une accusation de complicité de blanchiment d’argent portée contre elle. Face à cette «very serious matter», connue après sa première audition, la commission aurait pu rappeler la députée du MSM. Mais cela n’a pas été fait.

Celle qu’on affuble déjà de toutes sortes de sobriquets désobligeants a peut-être fait une croix sur sa carrière politique en démissionnant ce vendredi. Son nom étant désormais irrémédiablement lié à des trafiquants de drogue qu’elle a rencontrés – c’est un fait – en grand nombre, pendant qu’elle pratiquait au barreau. Roubina Jadoo-Jaunbocus a néanmoins fait savoir qu’elle va contester les conclusions la concernant devant la Cour suprême. Dans un an ou deux, la possibilité qu’elle remporte son Judicial Review suscitera alors son propre lot de critiques. Les uns affirmeront que les politiques s’en sortent à nouveau à bon compte. Les autres s’empresseront de questionner d’autres aspects éventuellement iniques du rapport.

Le champ couvert par le document est vaste. Toutefois, on comprend mal pourquoi, étant si bien lancée sur les membres de la profession légale, la commission n’a pas poussé plus loin ses auditions. Après tout, Raouf Gulbul et Rex Stephen ne peuvent être les deux seuls avocats d’expérience à entretenir des relations – d’argent et de servitude inavouable – avec des trafiquants de drogue notoires. Des ténors du barreau en ont représenté certains en leur réclamant des honoraires conséquents. Lam Shang Leen et ses assesseurs ont auditionné uniquement les avocats ayant communiqué de manière non autorisée avec les trafiquants ou ceux leur ayant rendu visite sans avoir été sollicités. Ne pas avoir auditionné les ténors semble toutefois un oubli.

D’autres paraissent également avoir bénéficié d’un droit à l’oubli. C’est le cas de trois avocats ayant fait intimement parti du dispositif de Raouf Gulbul : Tisha Shamloll, Ashley Hurhangee et Samad Golamaully. Dans leur sagesse, Paul Lam Shang Leen et ses deux assesseurs ont estimé que les éléments communiqués par ces trois juristes proches les absolvent d’avoir aidé leur mentor dans les basses besognes qui lui sont reprochés. S’il y a probablement une logique à ce qu’aucune «further investigation» ne soit demandée à leur égard, la lecture des pages du rapport consacrées à Gulbul amènera probablement le quidam à se demander pourquoi ceux qui l’ont aidé activement s’en tirent à si bon compte.

Il y a aussi une autre impression qui perdure. Celle de l’importance (trop prononcée ?) accordée à l’art et la manière de déposer ou l’émotion de l’auditionné. Si l’attitude belliqueuse de Sanjeev Teeluckdharry lui vaut un paragraphe de remontrances bien méritées, le «genuine regret» de Tisha Shamloll produit l’effet inverse. Même point bonus pour Kailash Trilochun. Celui qui occupe la première position du «hit parade of unsollicited visits in the number of visitors seen in one day» n’est pas inquiété. La commission «commend» même son attitude et le respect dont il a fait preuve quand il a été entendu.

Il y a enfin, ce mystère sur lequel on aurait souhaité que Paul Lam Shang Leen et ses assesseurs s’attardent davantage. Quitte à interroger le patron de la police lui-même. Le rapport note en effet que c’est un appel émanant du bureau du Commissaire de police qui a conduit à une fouille de l’ADSU chez Asvin Bhoyroo, le «fading star witness» des auditions. Ce qui conduit les trois membres de la commission à remarquer : «up to this day, the commission has not received an official report either from the ADSU or the office of the commissionner of Police as to why the residence of the witness was searched. Was it a form of intimidation and who was pulling the string ?» Un constat qui débouche sur la requête d’une «enquiry by an independent panel».

La commission Lam Shang Leen recommande des enquêtes sur 11 avocats, 8 officiers de police, 18 officiers des prisons et une vingtaine de personnes liées de près ou de loin aux trafiquants de drogue. Gageons que la police, la commission anticorruption, la Financial Intelligence Unit et la MRA ne s’arrêteront pas à cette liste exhaustive. Et trouveront suffisamment de pistes dans le rapport pour courser tous les protagonistes. Blue-eyed boys and girls inclus…

Commission of Inquiry on Drug Trafficking Report (2018) by ION News on Scribd

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