Ce qui devait arriver est arrivé. Le ton de Rajendrah Ramdhean à l’égard de Pravind Jugnauth a braqué ce dernier. Le Premier ministre met ainsi fin à la pratique établie qui veut que le chef du gouvernement assiste, en tant qu’invité d’honneur, à la célébration de Maha Shivratri par la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation (MSDTF). Jugnauth a-t-il eu raison de tourner le dos à une organisation socioculturelle présentée comme la plus puissante et représentative – sur papier – de la communauté majoritaire ?

Le Premier ministre n’avait plus trop le choix. S’il avait fini par accepter l’invitation, il aurait projeté l’image d’un chef politique docile et influençable. Créditant, au passage, l’organisation de Ramdhean d’une influence considérable. Pour autant, l’argumentaire utilisé par les marmitons de Jugnauth pour justifier son refus est quelque peu léger. L’un d’eux, cité par nos confrères du Défi, explique que le Premier ministre a motivé son refus en expliquant à la MSDTF qu’elle a organisé des activités auxquelles étaient conviées «certaines personnes avec un agenda politique».

L’argument est aussi ridicule que risible. Car le Premier ministre – il n’est certes pas le seul – met volontiers sa foi au service de son «agenda politique». Un exemple : le 23 janvier 2017, à peine nommé chef du gouvernement, il se fait prendre en photo lors d’une séance de prière avec son épouse Kobita à Ganga Talao. Les clichés n’avaient toutefois pas vocation à finir dans un album de famille. Mais dans les salles de rédaction. Le moment de piété [politique] du couple a été publié.

Plus récemment, en octobre 2017, Pravind Jugnauth a participé aux célébrations de Divali organisées par la MSDTF. Il y a volontiers côtoyé d’autres leaders politiques venus avec leurs «agendas politiques» respectifs. Le chef du gouvernement n’avait, semble-t-il, trouvé aucun inconvénient à prendre la parole lors d’une célébration religieuse ce jour-là. Depuis, il s’est découvert de nouveaux scrupules. Qui semblent à géométrie variable. Pas lieu, donc, de s’extasier devant les justifications prétendument républicaines du Premier ministre pour éviter une prise de parole.

A vrai dire, la tension entre le président de la MSDTF et Pravind Jugnauth ne date pas d’hier. Elle remonte précisément à la période de l’élection du comité de direction de l’organisation socioculturelle en août 2017. Des ministres et proches collaborateurs du leader du MSM avaient alors fait campagne en vain pour faire réélire Somduth Dulthumun – ancien serf de Ramgoolam et nouveau fan de Jugnauth. Il fallait barrer la route à Ramdhean, perçu comme étant pro-travailliste. La stratégie n’ayant pas marché, le Premier ministre a dû composer avec le nouvel homme fort de la MSDTF.

Ménageant soigneusement le chou et la chèvre au début, Ramdhean a toutefois laissé transparaître ses affinités avec les travaillistes. S’affichant même au Sodnac SSS lors de la victoire d’Arvin Boolell à la partielle de Belle-Rose/Quatre-Bornes, le 18 décembre dernier.

Le problème, c’est que les chefs politiques aiment disposer de toute l’attention de leurs interlocuteurs. On raconte ainsi l’anecdote de cet homme d’affaires prospère et influent qui a dû demander poliment à certaines personnalités politiques – pourtant invitées – de ne pas venir au mariage de son enfant. Afin de ne pas froisser un homme fort, révulsé à l’idée de se trouver dans la même salle que son adversaire honni.

Les dociles sont toujours récompensés par la présence du Premier ministre. Ainsi, la très pro-MSM Hindu House accueillera en grande pompe le Premier ministre à Ganga Talao dans quelques jours. Même chose pour le Human Service Trust. Il aurait seulement fallu que Ramdhean joue le jeu pour que Jugnauth prenne également part à la cérémonie de la MSDTF. Qui aurait alors été retransmise en direct et en intégralité par les bons soins de la radiotélévision nationale. Prudent ou partisan, Ramdhean refuse toutefois de prêter allégeance au seul puissant du jour. Celui-ci ne manquera pas de le lui faire payer.

La ligne dure de Pravind Jugnauth à l’égard de la MSDTF prêtera toutefois à conséquence. L’influence des organisations socioculturelles est largement surfaite. Mais elle n’est pas nulle, non plus. Plus le Premier ministre désertera l’organisation de Ramdhean et les dizaines d’opportunités qui lui auraient été offertes de consolider son «agenda politique», plus il permettra à Ramgoolam d’occuper la place.

C’est une perspective peu réjouissante pour le Premier ministre et sa brigade. Ne nous étonnons donc pas que l’épisode de tension fasse la place à une phase de réconciliation – volontaire ou imposée – plus ou moins durable. Car les leaders politiques sont de grands peureux qui ont horreur du risque. Tandis que les dirigeants socioculturels sont toujours à la recherche d’avantages. On ne change pas si facilement la nature des hommes…

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