Trois lignes ou trois paragraphes ? Ce n’est que ce vendredi, à partir de 17h qu’on en saura davantage sur le sort du projet Heritage City. En coulisse, une guerre des nerfs oppose deux camps depuis l’entrée en fonction du nouveau ministre des Finances. Les uns – arguments à l’appui – tentent de transformer le mastodonte en éléphant nain. Aidés, parfois, par ceux qui défendaient opportunément Heritage City, hier encore. Les autres s’en tiennent à « la vision » de sir Anerood Jugnauth pour justifier la pertinence économique ainsi que la portée politique du projet.

Car ne nions pas l’évidence. Heritage City est bien un projet politique. Il est né au dernier trimestre de 2015 quand sir Anerood Jugnauth et d’autres au sein de son gouvernement ont constaté le plouf du Budget de Vishnu Lutchmeenaraidoo. Il fallait vite tempérer les ardeurs sur l’essor des smart cities et trouver un nouveau projet réalisable – au moins en partie – en un mandat. Trouver une initiative susceptible d’impressionner l’électeur moyen par sa visibilité. Tout en convainquant le votant plus exigeant par sa pertinence économique et éventuellement sociale.

Dans ses composantes privées et publiques, le projet Heritage City pèse la bagatelle de Rs 28 milliards [USD 800 millions] sur une superficie de 336 arpents. Il est donc impensable que l’intégralité du projet soit bouclé et livré d’ici fin 2019, date de la prochaine échéance électorale. Toutefois, la partie publique, estimée à Rs 13 milliards (USD 375 millions), pourrait être rendue visible, voire en partie opérationnelle d’ici là. A condition que la décision d’embrayer sur le projet soit prise et que les financements suivent. Si Roshi Bhadain, le ministre chargé de mettre en œuvre la ville administrative, avait promis le démarrage des travaux pour août, il semble que seule une partie des activités de nivellement des 336 arpents de terrain débuteront à cette échéance. Mais avec quel financement ?

Avec le dédommagement du gouvernement indien, suite à la révision du traité de non-double imposition entre nos deux pays, l’optimisme semblait de mise. En effet, des Rs 12,7 milliards [USD 350 millions] reçues de la Grande péninsule, Rs 3,7 milliards devaient aller directement au financement du nouveau Parlement ainsi que des nouveaux bureaux du Premier ministre dans le quartier administratif de Heritage City. Mais voilà, Pravind Jugnauth semble avoir d’autres desseins pour cette somme, mais aussi pour les Rs 1,8 milliard devant financer le centre de conférences international de la ville nouvelle. Là où on devait aller trouver les deux tiers du coût de la partie administrative de Heritage City chez des bailleurs de fonds. C’est désormais la totalité du financement qu’il faut mobiliser.

A l’Assemblée nationale, le ministre de la Bonne gouvernance avait évoqué l’accord de principe d’un consortium de banques locales pour financer le projet. Tant celui-ci est jugé « financièrement viable et économiquement raisonnable » au ministère de Pravind Jugnauth. Si la possibilité d’émettre des redeemable preference shares a été évoquée, aucun engagement ferme n’a été reçu des gouvernements de l’Inde, d’Arabie Saoudite ou des Emirats arabes unis à ce sujet.

Pour décider de la place à accorder à Heritage City dans son Budget, Pravind Jugnauth a dû jauger ces éléments. D’autres aussi. Comme le fait que Heritage City Ltd n’est pour l’heure qu’un conseil d’administration sans staff et sans management pour superviser au quotidien un projet d’une telle complexité. Le ministre des Finances a probablement aussi compris qu’il lui faudra trouver quelque Rs 1,5 milliard pour l’aménagement du réseau électrique, d’eau et routier sur les 336 arpents. Au moment où le déficit budgétaire et la dette publique atteignent des niveaux intenables, il devra réussir un numéro de funambule pour concilier sa vision économique et son objectif politique avec la « discipline fiscale et [la] prudence financière » auxquelles il s’est astreint.

N’empêche, avec le métro léger, Heritage City donne l’impression d’être le seul projet d’envergure susceptible de frapper durablement les esprits des Mauriciens s’il est mis en œuvre. En 2019, sir Anerood Jugnauth aura pris sa retraite. Roshi Bhadain, le sherpa de Heritage City – étonnamment pacifiste depuis peu – ne rechignera pas à céder l’entier crédit du projet à son leader. Pravind Jugnauth, en pleine crise d’egonomie*, demeure le seul à décider. Puis à en payer le prix économique ou à en récolter les bénéfices politiques.

*Egonomie est un terme développé par le prix Nobel d’économie Thomas Schelling. Dans Egonomics or the Art of Self-Management (1978), il développe l’idée que dans le temps, un individu peut adopter un comportement radicalement opposé par rapport à un objectif – économique ou autre – qu’il s’est lui-même fixé.

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