Il n’y a ni baguette magique ni élixir aux vertus prodigieuses. A quelques jours de la déclaration de politique générale de sir Anerood Jugnauth (SAJ) sur l’économie, seuls ceux aveuglés par leur allégeance politique ou les doux rêveurs pensent que le pays est sur la trajectoire d’un deuxième miracle économique. Au-delà d’un handicap lié aux compétences, c’est une toute autre barrière qui empêche le gouvernement d’agir afin de concrétiser sa promesse d’un second miracle économique.

Si depuis des années, ce sont des facteurs externes qui ont rogné la croissance à Maurice, pour une fois, il nous faut oublier nos préoccupations globales pour focaliser notre attention sur un problème très local. En effet, la crise de la dette en Europe, l’appréciation du dollar, la chute du baril de pétrole ou le ralentissement de l’économie chinoise sont tous relégables au second plan. Car l’adversaire le plus coriace ne se trouve pas ailleurs… mais à Maurice. Cet adversaire, c’est la distraction.

Pour prendre la mesure de son influence, il nous faut nous rappeler la série d’événements depuis fin 2014. Voici les plus marquants :

21 novembre 2014 : L’alliance Lepep dévoile son manifeste électoral.

27 janvier 2015 : le discours programme du gouvernement est lu.

6 février 2015 : Première arrestation de Navin Ramgoolam.

23 mars 2015 : Vishnu Lutchmeenaraidoo présente le premier Budget du gouvernement Lepep.

3 avril 2015 : Début de l’Affaire BAI

15 juin 2015 : L’Alliance Lepep rafle la totalité des sièges à pourvoir lors des élections municipales.

30 juin 2015 : Pravind Jugnauth est trouvé coupable pour conflit d’intérêts et démissionne comme ministre.

1er juillet 2015 : Signature d’un protocole d’accord sur le traité fiscal entre l’Inde et Maurice.

14 juillet 2015 : Hostilité ouverte entre le Directeur des poursuites publiques et le pouvoir.

20 juillet 2015 : Fissures apparentes dans l’entente MSM-PMSD après la querelle entre Showkutally Soodhun et Xavier Duval.

Pour ceux qui ne veulent pas voir l’évidence. Cette succession de dates illustre un fait : depuis son élection, le gouvernement de SAJ n’a pas bénéficié d’une réelle plage de répit lui permettant de se concentrer sur l’essentiel. C’est-à-dire son programme économique et social. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que plus de la moitié des « 12 priorités des trois premiers mois » énoncées dans le manifeste électoral de l’Alliance Lepep n’ont pas été concrétisées plus de six mois après son arrivée au pouvoir.

Passée l’euphorie de la victoire, le gouvernement aurait dû s’atteler à définir son programme économique. Or, dès le 6 février, SAJ et sa garde rapprochée ont probablement passé beaucoup de temps dans leur « situation room » à observer la mise en charpie de Ramgoolam. Une semaine après son budget, alors que Vishnu Lutchmeenaraidoo aurait dû passer ses journées à « make it happen », c’est avec Roshi Bhadain qu’il a employé tout son temps afin de désamorcer la crise BAI. Ailleurs, d’autres ministres ont sacrifié un temps inouï à guetter, ici, les faits et gestes de hauts fonctionnaires, et là, ceux de leurs propres collègues pour ensuite mieux s’en prendre à eux publiquement ou en coulisses. Pendant que leur chef à tous passait un temps certain à réfléchir sur son – ou ses nouveaux – plan(s) de succession.

Durant la dernière campagne électorale, sir Anerood Jugnauth et Vishnu Lutchmeenaraidoo, les deux pères du premier miracle économique, ont largement assuré les électeurs de leur capacité à rééditer leur exploit des années 80. Néanmoins, un élément fondamental manque à l’équation qui a mené au succès d’il y a 30 ans – la capacité de placer l’économie et le développement en haut de l’agenda et les y maintenir. Les deux hommes ont échoué à faire cela jusqu’ici.

Le premier a opté pour une posture résolument « back seat » alors qu’il nous a habitués à être celui qui décide pendant que les autres exécutent. Paradoxalement, le gouvernement apparaît désormais comme pullulant de décideurs… accentuant, de ce fait, l’impression d’un manque d’exécutants. Une perception exacerbée par l’absence prolongée de SAJ du pays. Sa visite privée de presque trois semaines en Angleterre tranche, en effet, avec les rares et courtes périodes de repos à Rodrigues – avec Machiavel en guise de lecture – dont il s’offrait jadis le luxe.

Pendant ce temps, le second est, lui, parvenu à mettre à cran tout un secteur financier ballotté sur l’état réel de sa compétitivité en Inde à la suite de la signature du nouveau protocole d’accord sur le traité fiscal Inde-Maurice. Mais également par la rhétorique économique trop philosophique et insuffisamment pratique adoptée par le gouvernement depuis le début de l’année.

Le résultat de cette somme d’incertitudes était prévisible. D’une part, le dernier sondage DCDM Research démontre un réel tassement de la popularité du gouvernement auprès du grand public. Tandis que le Business Confidence Indicator de la Chambre de commerce signale depuis plusieurs mois que le pays est « très loin » de son potentiel de croissance. Reflétant ainsi fidèlement l’impatience et l’inquiétude de la communauté des affaires à l’égard du gouvernement.

C’est dans ce climat que SAJ s’apprête à faire son intervention sur l’économie, probablement ce samedi. Le Premier ministre aurait tort de penser que c’est son discours qui comptera le plus. Certes, il établira plus clairement l’agenda du gouvernement. Mais celui-ci était déjà plus ou moins connu le 23 mars dernier. Ce qui a manqué depuis, c’est la cohérence dans la mise en application du plan… et, surtout, un leadership fort démontrant la volonté du gouvernement de « make it happen ».

Au-delà des mots et des postures, on s’attend à revoir le style de gestion d’antan du Premier ministre. Un peu comme dans le dernier Terminator, SAJ doit rassurer la nation en démontrant qu’il est « old, but not obsolete » !

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