La publication de mon premier article sur ce site a fait remonter, dans mon entourage, un terme anglophone : « third culture kid » (TCK). Ce terme n’a pas réellement d’équivalent en français, si ce n’est une traduction littérale, « enfant de tierce culture ». Cette catégorisation est relativement jeune et a la particularité de n’intéresser, pour le moment, que le monde anglophone. Sans entrer dans les détails, nous pouvons définir la « tierce culture » comme une hybridité culturelle acquise au fil de séjours prolongés dans des pays autres que le pays d’origine de la personne.

L’identité culturelle nous fournit un cadre de référence nous permettant d’inter-réagir avec nos pairs et de fonctionner ensemble. Ce sont des codes, des acquis, des éléments de langage ou des normes qui régissent le quotidien dans un contexte culturel donné. Cela nous permet de ne pas sortir, à défaut de le faire consciemment, des normes qui régissent notre société. Cela permet aussi de comprendre certaines choses inhérentes à un pays. Un exemple, une voiture arrive sur un « débouché » à une heure de pointe, le chauffeur va « tique tiquer » tout en faisant un signe de la main à un autre conducteur pour essayer de s’insérer dans le trafic. C’est une pratique « culturelle » du code de la route à la mauricienne. Il sera difficile pour un étranger de comprendre cela du premier coup.

La « tierce culture » façonne différemment une personne. La base culturelle de la personne sera celle de ses parents avec les codes de la culture de ces derniers. Elle sera, par contre, modifiée par la culture du pays où réside la personne. Un enfant français arrivant dans un collège mauricien devra se plier au code vestimentaire de l’uniforme même si on ne s’attend pas à ce qu’il cesse de parler français. Il s’adapte au système et rajoute une couche de compréhension de la culture de son pays d’accueil. Cela ouvre donc le spectre culturel de la personne où un mélange de cultures est possible.

En partant de ce constat, nous pouvons immédiatement nous pencher sur la culture mauricienne qui est elle-même « tierce » de différentes manières. Mon meilleur ami au collège s’appelait David. Chez lui, sa mère l’appelait Ah-Hoy et ne lui parlait qu’en chinois (c’est réducteur, car je n’ai jamais su si c’était du cantonais ou du mandarin) et j’ai toujours été étonné de voir cet accro aux faratas-cari manger avec des baguettes en tenant un bol près de sa bouche quand j’allais chez lui. Vous aurez deviné qu’il était de culture chinoise mais son identité culturelle était mixte : la culture de base de ses parents étant chinoise, la religion chrétienne, et la créolité de sa naissance à l’île Maurice lui faisant côtoyer les autres cultures du pays. Il en est ainsi pour toutes les cultures à Maurice, qu’on le veuille ou non.

Imaginons comme ce devait être difficile pour nos ancêtres de s’adapter à leurs voisins de cultures différentes, à l’époque coloniale. Ils arrivaient sur une terre qui n’avait pas de culture et devaient vivre leur propre culture tout en se soumettant aux impératifs des colons. Il ne faut pas aussi oublier que la culture était aussi une valeur refuge, la dernière chose qui les rattachait à leurs origines. Il fallait à tout prix conserver cela tout en laissant assez d’ouverture pour comprendre les cultures voisines. C’est ce qui explique la particularité de la culture mauricienne où tout le monde vit plusieurs cultures, les cultures ancestrales et la culture dite mauricienne.

De par les codes culturels mauriciens d’il y a 30 ans, il y avait peu de brassage ethnique. J’ai bien eu un enseignant de sciences en Form 1 qui était un « sinwa nwar » mais on n’en voyait pas beaucoup. Le jour de mon arrivée en France, à 18 ans, j’ai été accueilli par un jeune Mauricien qui s’appelait Jamil. Jamil faisait aussi partie de ces rares brassages car je ne me serais jamais attendu de voir un « Jamil » avec un nom de famille tirant vers le « mizilman » avec des traits « sinwa » mais c’était bien le cas.

Aujourd’hui, nous vivons une mutation assez importante dans le tissu culturel de notre pays. Les frontières tombent et le brassage ethnique prend de l’ampleur. De fait, une nouvelle génération d’enfants de « tierce culture » est en train d’éclore dans le pays, non pas dû à l’expatriation mais au rapprochement de différentes cultures au sein même du pays. L’île Maurice ne sera-t-elle pas encore plus belle à voir à travers sa population et sa nouvelle identité plus forte avec un tissu social renforcé par ces rapprochements ?

 

Pour aller plus loin

Ce petit quiz sur le site de KD Conseil est un test pour savoir si une personne est d’une tierce culture. Sans aller trop loin dans la partie internationale, on se rend compte qu’un Mauricien répondrait facilement « oui » à nombre de ces questions.

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