Un paragraphe entier serait nécessaire pour égrener tous les noms. Donc, citons plutôt quelques dossiers : BAI, Betamax, National Development Unit, Nandanee Soornack, Navin Ramgoolam. Dans les trois premiers cas, toutes les accusations provisoires – des dizaines – sont tombées ou ont été rayées une à une. Des mois d’enquête, pour rien !

Si l’ancien Premier ministre fait face à la justice dans l’affaire Roches-Noires, l’accusation de blanchiment d’argent, liée aux Rs 220 millions trouvées chez lui, nécessite un haut niveau de technicité et d’expertise pour être soutenue en cour. Ce qui conduit plus d’un spécialiste à se demander à quelle conclusion arrivera prochainement le Directeur des poursuites publiques (DPP). Les mauvaises langues, dans la profession légale, vont jusqu’à prédire une volonté présumée de «fer enn kout zwer» du DPP. Afin que le pouvoir et le grand public ne l’accusent pas d’une trop magnanimité – voire de connivence – à l’égard de Ramgoolam. Même si le dossier à charge de la police est branlant…

Après deux ans et demi au pouvoir, un premier bilan sur le «nettoyage» initié par le gouvernement peut être effectué. Les efforts et les coûts liés à l’inquisition lancée dès fin décembre 2014 sont mesurables. Des dizaines de fonctionnaires de police et de la commission anticorruption ont été mobilisés durant des mois. Des millions de roupies ont été payées à Ntan pour son rapport « accablant » sur la BAI. Des tribunaux et des magistrats ont perdu des semaines à écouter les motions de remise en liberté ou les explications et justifications calamiteuses des enquêteurs. Les carrières des accusés ont été stoppées net. Des vies ont été suspendues aux enquêtes. Des milliers de Mauriciens attendent d’être remboursés.

Qu’est-ce que tout ce cirque nous a rapporté ? Pas grand-chose. Si ce n’est une nouvelle réputation : celle d’un pays où les lendemains d’élections riment avec emprisonnement des dirigeants sortants. Une notoriété habituellement réservée aux républiques secondaires… pour ne pas utiliser un autre mot plus fruité. Si on ajoute à cela les réclamations colossales de Dawood Rawat, Veekram Bhunjun, et d’autres, à l’Etat, la facture de l’incompétence des uns, de l’amateurisme des autres et de la vengeance aveugle de certains vont coûter l’équivalent de la valeur réelle d’au moins un Metro Express.

Quelles conséquences le gouvernement tire-t-il de cette série de débâcles les unes plus choquantes que les autres ? Que l’incompétence et l’amateurisme ont régné au sein de la police et de l’ICAC ? Le remplacement de Heman Jangi, l’ex-patron du Central Criminal Investigation Department, par Devanand Reekoye a-t-il donc suffi ? L’arrivée de l’ultra brillant, l’ultra compétent et du méga humble Navin Beekarry a-t-elle vraiment fait de la commission anticorruption un modèle d’efficacité et non seulement une sorte d’ADSU bis ? Ou se berce-t-on d’illusions en se focalisant sur les exécutants alors que les donneurs d’ordres jouissent d’une étonnante impunité ?

Avec le recul, il faudra bien qu’on désigne le principal coupable de tout ce temps, cette énergie et cet argent perdus depuis fin 2014 : sir Anerood Jugnauth. Son «mission statement» était claire depuis la campagne : mettre Ramgoolam en prison et en quelque sorte démanteler les leviers financiers sur lesquels il a pu compter – des Ah Teck à Dawood Rawat en passant par Veekram Bhunjun. Roshi Bhadain aura beau vouloir se dédouaner, il a été un soldat zélé de SAJ. Un chien d’attaque dressé pour mordre l’adversaire désigné. Et aidé juridiquement par un Attorney General dont les conseils et les actions ne semblent pas avoir été d’une grande valeur ajoutée à l’action du gouvernement. Il ne faut pas, non plus, oublier Vishnu Lutchmeenaraidoo qui a déclenché l’effet domino qui a terrassé le groupe BAI.

Au-delà de Sobrinho, Sumputh ou Sanspeur, c’est sur ce fond de débâcles accumulées que Pravind Jugnauth fait son premier grand discours politique ce 1er-Mai. 97 jours après sa prestation de serment, trois choix s’offrent au Premier ministre. D’abord, persister à dire qu’il y a bien eu des délits et affirmer que les enquêtes recommenceront afin de conduire les éventuels coupables en prison. Le leader du MSM ne fera pas cela. Car il serait vite taxé d’acharnement envers ses adversaires. Ou pire, de vouloir faire diversion par rapport aux affaires qui perturbent son gouvernement.

Ensuite, il y a la solution du milieu : blame it on SAJ. Pravind Jugnauth, dans son style et dans son approche, veut rompre avec son prédécesseur de père. Son envie est probablement grande de dire publiquement ses divergences avec SAJ et de pointer du doigt les erreurs commises par ce dernier ou en son nom. Mais transférer une part importante du passif du gouvernement sur le dos du mentor est un pari risqué. Pravind Jugnauth pourrait toutefois, dès ce 1er-Mai, montrer plus subtilement que la page SAJ est définitivement tournée. Voyons, par exemple, qui prend la parole ce lundi à Vacoas pour comprendre quelles voix comptent désormais. Et quelles autres ont vocation à se taire.

Enfin, il y a la troisième voie : celle de la table rase. Pravind Jugnauth ne fera pas de mea culpa sur les turpitudes passées du gouvernement. Mais le Premier ministre pourrait choisir de ne pas parler des deux dernières années pour ne surtout se concentrer que sur les trois mois durant lesquels il a été au pouvoir et sur la moitié de mandat qu’il lui reste encore à accomplir. Ce serait un choix rationnel.

Pravind Jugnauth peut en effet décider de s’appuyer sur deux dossiers majeurs. D’abord, la lutte contre la drogue. Quoi qu’on en dise, il est préférable d’avoir des saisies record de drogue plutôt que de se demander quel volume de stupéfiants est distribué dans le pays ou alors transite dans l’île pour être exporté ailleurs. A ce chapitre, il faut reconnaître que le gouvernement de Pravind Jugnauth a quelques résultats à son actif. Le Premier ministre doit désormais expliquer son plan d’ensemble sur la lutte contre la drogue et, plus généralement, sur la question du « law and order ».

Il y a ensuite l’économie. Si le Premier ministre gère le gouvernement, sa responsabilité de ministre des Finances est tout aussi cruciale dans la conjoncture actuelle. Or, depuis janvier, le ministre des Finances semble un peu effacé. Ne donnant pas suffisamment d’indications sur la direction économique dans laquelle il s’engage au moment même où le projet ultra budgétivore Metro Express démarre. Surtout, à deux ans et demi de la fin de son mandat, Pravind Jugnauth ne dit pas non plus comment il améliorera la situation personnelle de la majorité des Mauriciens qui n’ont que faire des smarts cities ou d’une croissance à 5%.

Ce sont ces Mauriciens qui ont regardé Vire Mam fin 2014 pour se laisser convaincre par l’Alliance Lepep. D’ici deux ans, Pravind Jugnauth doit impérativement les convaincre à nouveau, pas qu’avec un discours… mais surtout par ce qu’il fait après celui-ci.

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