Quatre, cinq… sept crimes atroces. Deux, trois… cinq femmes adultères tuées. Les médias tiennent, depuis le début de l’année, une comptabilité macabre. Tous recensent, décortiquent et rapportent dans les moindres détails les crimes violents. Consacrant une infâme nouvelle trinité : sexe, horreur et mort.

Un pallier particulier a été franchi depuis lundi dans la presse, quand quasiment tout un corps de métier s’est cru investi d’une mission hors de l’ordinaire : déterminer en combien de morceaux et avec quel outil le cadavre d’une femme a été découpé. Pour ensuite rapporter, quasiment heure par heure, quel est le dernier membre à avoir été retrouvé. Cette quête a même inspiré un titre invraisemblable hier : « Femme découpée à Petite-Rivière : le poignet gauche retrouvé ».

Les logiques en jeu pour les médias sont connues. Les nouvelles sensationnelles attirent le chaland. Elles font vendre, elles génèrent du trafic sur les sites. Elles dopent l’audience à coup de « Breaking News » durant lesquelles on ne lésine pas sur les détails sordides pour ensuite se féliciter d’avoir obtenu la nouvelle avant la concurrence. En récitant « vous l’avez appris en primeur sur… » à chaque bulletin d’info.

En agissant de la sorte, les médias méconnaissent leur rôle et minimisent leur responsabilité. Certes, il faut toujours rapporter les faits. Mais la hiérarchisation de l’information et sa mise en perspective demeurent cruciales. On entend/lit ainsi toujours qu’une femme a été « violée et sodomisée ». A croire qu’une de ces violences sexuelles est en quelque sorte plus grave ou répréhensible que l’autre.

C’est dans l’air du temps, presque tous les journalistes se contentent de rapporter les faits « de surface ». En omettant quasi systématiquement les causes profondes et cachées de la souffrance des victimes ainsi que de leurs proches et les moyens d’y mettre un terme. Les détails sordides ont ainsi préséance sur les rares interventions de professionnels. Qui, faute de temps ou de sollicitation, n’arrivent souvent pas à replacer les faits dans un contexte socio-affectif global.

Incapables d’assumer leur rôle, les médias se rendent coupables de trois manquements. D’abord, ils normalisent presque les crimes violents. En commençant, par exemple, leurs comptes-rendus par un paresseux « encore un crime passionnel violent… » et en les concluant régulièrement par des commentaires à l’emporte-pièce du type : « le pays est malade ».

Ensuite, en restant à la surface des choses, les journalistes permettent – et encouragent aussi probablement – leurs lecteurs et auditeurs à ne pas réfléchir plus profondément à la question de la violence. Ce qui pousse ces derniers à recourir à des raisonnements simplistes. Comme ces dizaines de personnes qui réclament désormais chaque semaine la réinstauration de la peine de mort lors des émissions de radio « phone-in ». Persuadées qu’elles sont que cette mesure suffira à dissuader tous les hommes violents du pays.

Enfin, il faut aussi se demander si ce « new normal » de crimes violents relayés par la presse n’alimente pas une sorte d’effet Werther (effet copycat) du crime. Certains Mauriciens prennent probablement conscience, à travers les médias, que d’autres personnes vivent les mêmes frustrations qu’eux. Et finissent sans doute par se demander s’ils ne vont pas céder également. Il y a quelques semaines, le fait qu’un homme découpe sa compagne à la meuleuse paraissait invraisemblable. Or, cette semaine, on apprend que la femme démembrée aurait peut-être connu le même sort. Coïncidence ? Contagion ?

Les journalistes ne devraient pas trop perdre de temps pour le savoir. Pour cela, il faudra invariablement qu’ils s’éloignent du caniveau du sensationnalisme. Il serait dommage qu’après avoir été traités de gratte-papier, de semi-intellectuels, de scribouillards ou de pen-pushers, ils soient affublés d’un nouveau nom : croque-morts !

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