« Indignez-vous ».

Stéphane Hessel

Il y a quelques années, nous avions publié une tribune portant le même titre. Les années se suivent, les indignations restent. Lorsque des enfants sont victimes de pervers. Lorsque des enfants servent à assouvir les immondes pulsions sexuelles d’adultes. Lorsque des enfants suscitent des pensées pornographiques à des adultes. Lorsque ces pensées deviennent des actes. Deux drames médiatisés ces derniers jours. Lorsque huit enfants – HUIT !!! – subissent les attouchements du père de leur petite copine. Lorsqu’une petite fille de quatre ans et demi devient un jouet sexuel sous les mains dégueulasses de son père. Lorsque l’agresseur est le père.

Le père. Vous savez, cette personne de sexe masculin, le géniteur, celui qui a pour devoir moral d’élever, d’aimer et de protéger ses enfants. Le référent. Le « papa ». Le deuxième mot que l’enfant dit, après « maman ». Le père. Comme dans « pervers ». Et si le père est défaillant, c’est à la justice de protéger l’enfant, telle est la règle de toute vie en société.

La justice a, ce 11 août, transformé la sentence d’un homme reconnu coupable d’attouchements sexuels sur sa petite fille de quatre ans et demi – ça s’appelle l’INCESTE, appelons un chat un chat – de 9 mois de prison en 180 heures de travail communautaire. Son avocat fait appel de la sentence, jugée sans doute trop lourde.

Lorsque la justice mauricienne punit plus lourdement un petit fumeur de gandia ou un voleur de bijoux qu’un pédophile, quel signal envoie-t-elle aux pervers en puissance ? Allez-y, touchez, tripotez, terrorisez, violez, défoulez-vous, libérez vos pulsions, la justice sera clémente envers vous. Les ravages, les dégâts, les conséquences physiques, morales, psychologiques sur les petites victimes ? Apparemment, ça ne pèse pas bien lourd dans la balance.

Moi, femme, moi, professionnelle, moi, amie, moi, fille, moi, mère. Moi, ancienne victime. On reste ex-victime toute sa vie, même si on est résiliente, comme moi. On reste ex-victime d’un individu amoral, abject, sans limites, pervers. On reste sali(e) même si on en a fait une arme, un combat, une cause à défendre. On reste sali(e) par des mains, des mots, des images, des gestes, parfois pire : un sexe. On est victime, mais on se sent avant tout coupable, quand on est enfant. Coupable d’avoir suscité ce genre de comportement. Coupable, parce qu’on n’a pas les mots pour exprimer le dégoût, la colère, la révulsion. La peur. Ô mon dieu, la peur… J’ai vécu avec la peur durant des mois. Pas simplement la peur d’en parler, non, la peur de croiser ce bourreau. La peur de se retrouver seule dans une pièce avec cette pourriture. Des années à travailler sur soi, à retrouver son intégrité, à surmonter le trauma, à faire de cette blessure une force.

Alors quand une petite fille de quatre ans et demi a le courage de faire le parcours de combattant qui attend une victime de pédophilie : police, CDU, psy, avocat, Cour, interrogatoires, questions, insinuations, réminiscences d’un vécu traumatique…, quand elle a le courage d’en parler à sa mère qui la croit, quand l’entourage familial se répand sur Facebook pour s’indigner de notre prise de position quand bien même il n’y a plus présomption d’innocence, alors moi, ancienne victime, je m’indigne, je rage, je tempête !

J’accuse la justice de laxisme, d’indulgence, de négligence coupable envers ces pédophiles. J’accuse la justice de ne pas protéger ses enfants, de ne pas punir comme stipulé dans les textes de loi, les agresseurs sexuels. J’accuse la justice de méconnaissance des risques de récidive et de remettre dans la nature des pervers qui, pour beaucoup, recommenceront, faute de sanctions exemplaires et de suivi thérapeutique. J’accuse la justice de méconnaître les traumatismes de ces enfants et la totale désespérance de ces petites victimes devant ce type de sentences, ainsi que leurs conséquences.

A cette merveilleuse petite fille qui a souffert, qui souffre et qui ne comprend pas que celui qui lui a volé son innocence s’en sorte à si bon compte alors qu’elle va passer des années d’angoisse, de souffrances, de traumas à essayer de s’en remettre, moi la femme, la mère, l’amie, l’ancienne victime, je lui dis toute ma fierté devant son courage, mais aussi toute ma honte de citoyenne devant cette décision.

Pédostop est le combat d’une vie. Nous serons toujours debout, aux côtés des victimes, du côté des victimes. Nous continuerons à informer, sensibiliser, relayer l’information. Nous continuerons à être force de propositions et à offrir des formations aux professionnels du secteur. Ce combat ne prendra hélas jamais fin. Indignons-nous ! Indignez-vous !

                                                                                  Résiliente, du comité de l’ONG Pédostop

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