Selon le bon plaisir du Premier ministre, vous avez pu vous marier le 2 mai. Mais il a aussi fait de vous un étranger indésirable. Est-ce que vous vous attendiez à cela ?
Non ! Pas du tout ! Je pensais qu’au bout d’un an et demi, le fait que j’ai été hors du territoire et qu’il n’y avait aucune interdiction quant à mon retour, que l’Etat n’allait pas tuer le messager comme il l’avait fait avec Megh Pillay. J’ai cru qu’il commençait à ouvrir les yeux sur ce qui se tramait au sein d’Air Mauritius.
J’ai lancé la procédure du mariage civil à Maurice car, d’abord, c’était plus simple administrativement. Ensuite, surtout, parce qu’il y avait toute la famille d’Isabelle (son épouse : Ndlr) ici. C’était aussi plus facile pour moi de faire venir mes enfants et quelques membres de ma famille plutôt que de déplacer la famille d’Isabelle ailleurs.
Puis, des personnes nous ont dit que le gouvernement n’allait pas en remettre une couche après le discrédit qui lui est tombé dessus après mon licenciement et la tentative de me déporter. Jamais, à aucun moment, il n’a été question pour moi de me ruer sur un permis de résident.

Quand la loi sur l’immigration a été modifiée en urgence, est-ce que cela ne vous a-t-il pas mis la puce à l’oreille ?
Immédiatement ! Dès que j’ai pris connaissance du projet de loi, je me suis dit : «Est-ce que cela ne ferait pas suite au refus du Prime minister’s Office que je me marie ?» Ce refus constituait déjà une surprise colossale et avec ce projet de loi, je me demandais si je ne devenais pas parano.
Avec tous les problèmes auxquels Maurice fait face, je me demandais quelle était l’urgence, si ce n’était mon mariage, de faire voter cette loi aux forceps. J’ai pris contact avec mes conseils légaux et ils m’ont confirmé que cette loi m’était destinée.

Finalement, Jugnauth fils vous a privé d’une lune de miel…
Oui, tout à fait… L’ironie veut qu’on nous ait lu le Code Napoléon lors de la cérémonie du mariage civil. Celui-ci stipule que les époux ont pour obligation de vivre sous un toit commun. On m’a toutefois déclaré «prohibited immigrant», ce qui nous force à vivre séparément. Si ce n’est de pousser une Mauricienne à l’exil.

Comment comptez-vous vivre en tant que nouveaux mariés ?
Nous n’y avons pas encore réfléchi. C’est encore chaud. Sur les conseils de nos hommes de loi, nous avons voulu plutôt nous concentrer sur notre mariage. Nous allons voir comment nous allons nous organiser. Il y a tellement de possibilités : tel un changement à la tête de l’Etat… Faut-il prendre des dispositions à long terme, à moyen terme ou à court terme ? On n’en sait rien.

Vous avez évoqué des recours devant des instances internationales. Que vous ont conseillé vos hommes de loi ?
Très honnêtement, à ce stade-ci, nous n’en avons pas encore eu l’occasion d’en discuter. Il y a d’abord des recours légaux au niveau national. Au niveau international, il faudra se demander comment sera considéré un expatrié ou un touriste qui peut être victime de cette loi.

Dans la lettre du PIO vous informant de votre nouvel statut, il vous est reproché d’avoir traité le Premier ministre de fou. Ce qualificatif provient d’un enregistrement audio adressé aux pilotes d’Air Mauritius réunis au sein d’un groupe sur WhatsApp. Comment s’est-il retrouvé sur la place publique ?
Le syndicat de pilotes étrangers, dont j’étais le président, était dans l’attente de l’injonction contre Air Mauritius. J’apprends à ce moment-là qu’on va essayer de m’extrader. Des pilotes me font alors savoir qu’ils vont se mobiliser contre une telle démarche. Donc, c’est à chaud que j’envoie ce message audio.
Je ne fais alors que répéter purement et simplement ce qu’on venait de me communiquer. Le message était adressé à un groupe de collègues et j’ignore comment il s’est retrouvé dans les médias. J’ai des doutes sur l’identité de la personne, mais je ne peux accuser qui que ce soit sans preuve.
Quand le message s’est retrouvé dans le domaine public, on s’est dit qu’ils ne vont pas s’arrêter à ça, que l’Etat n’allait pas en faire grand cas. Force est de constater, au fur et à mesure, qu’il était devenu un obstacle à mon réintégration. Il y avait une focalisation sur ce message…

Traiter le chef de gouvernement de fou vous a donc coûté votre poste et une vie à deux à Maurice ?
C’est plus que probable. A partir du moment où lui-même me déclare indésirable. Ce leitmotiv revient tout le temps. Quand j’ai appris que le message audio avait pris des proportions considérables, j’ai écrit une lettre au Premier ministre.
Il n’était pas au pays. Bien que j’aie un accusé de réception, cette lettre a disparu d’après ce qu’il a fait comprendre aux pilotes qu’il a rencontrés par la suite. J’ai écrit la même lettre qu’un de mes collègues suspendus pour ma réintégration. Seule la signature diffère. Lui a été repris, moi pas. Sans aucune justification.

Comment une lettre peut se perdre ?  
Il y a une volonté à entretenir la désinformation et d’éviter que je puisse avoir un quelconque contact avec le Premier ministre. Ce, afin que je ne puisse l’éclairer sur certaines choses chez Air Mauritius.

Que se passe-t-il donc chez Air Mauritius ?
Air Mauritius essaie par tous les moyens – qui plus est à travers une plainte qui m’a été servie à ma sortie du bureau de l’Etat civil où je venais de me marier jeudi pour me réclamer Rs 126 millions – de focaliser l’attention sur une petite période dans le temps. Elle fait croire que tout allait bien avant ces quelques jours d’octobre 2017.
Des gens sont en train de mentir au Premier ministre, lui dépeignent un tableau totalement erroné de ce qui se trame au sein de la compagnie. Est-ce qu’il a fini par s’en rendre compte et il ne peut faire marche arrière car ça ferait tache politiquement ? Je n’en sais rien. Il faudra lui poser la question.

Air Mauritius recrute toujours des pilotes. Est-ce qu’elle parvient toujours à attirer les étrangers?
Où je passe à travers le monde, quand on me demande mon nom, les pilotes disent que pour eux, Air Mauritius c’est un «no-go». Elle cherche toujours des pilotes, mais n’en trouve pas. Quand j’ai été recruté en 2003, j’ai été interrogé sur mon «ability to settle» avec ma famille. La compagnie souhaitait alors garder les pilotes et offrait des packages incitatifs.
Désormais, la compagnie pense qu’à cause des lagons turquoise, un pilote va parcourir 10 000 kilomètres, en laissant sa famille chez lui, pour venir travailler comme un âne. On lui promet de regrouper ses jours de congé en lui disant qu’elle ne peut rien lui garantir et elle s’étonne que nul ne se presse au portillon.
Sur 30 pilotes qui postulent, un est recruté. D’autres viennent pour quelques heures de vol sur un «wide body» et puis s’en vont sous d’autres cieux. C’est un coût énorme pour Air Mauritius. Malheureusement, celle-ci préfère faire des économies à court terme plutôt que de penser au long terme.

Cette situation n’est pas une nouvelle…
Elle a pris des proportions pas possibles. Tout a piqué du nez à partir du nez du moment où Air Mauritius a voulu croire dans un deuxième miracle économique. ça sonnait bien politiquement. Le nouveau gouvernement s’était installé et elle venait d’engranger un milliard de roupies de bénéfices.
On sabre le champagne, mais Megh Pillay, le seul qui sait de quoi il parle, souligne que c’est illusion. Le carburant n’a fait que baisser et va augmenter de nouveau. On n’a rien changé dans la structure de la compagnie, on n’a pas revu le réseau, il n’y a pas eu de recapitalisation, il n’y a pas de cash flow et l’entretien des avions vieillissants pèse lourd…
Tout cela a été communiqué au plus haut sommet de l’Etat, mais on a préféré écarter Megh Pillay pour croire à ceux qui se disent «nous sommes les meilleurs». Même un enfant de 3 ans aurait vu que les bénéfices d’un milliard de roupies étaient uniquement dus à la baisse du fioul et qu’il n’y avait pas de cash-flow nécessaires pour l’achat de nouveaux avions.
Aujourd’hui, le mode panique a été activé.

C’est quand même étonnant que plusieurs pilotes aient souffert d’une gastro le même jour en octobre 2017. Avez-vous tous dîné au même restaurant ?
Le malaise était là depuis un moment. Ce n’est pas pour rien qu’un an auparavant, Megh Pillay s’était fait éjecter. Pourquoi ? Il y avait des problèmes qu’il a voulu combattre. Entre autres, avec les pilotes, en particulier avec Mike Seetharamadoo.
Des décisions unilatérales ont été prises et les contrats des pilotes n’étaient pas respectés. Avant le 5 octobre, les pilotes en avaient déjà marre. 5 000 jours de congés annuels n’avaient pas été accordés à 150 pilotes. Ils n’avaient plus de vie sociale. Lorsqu’ils sont au repos, on les appelle pour leur demander «si kapav rann enn ti servis».
Au fur et à mesure, des pilotes ne décrochent plus leurs téléphones. La direction d’Air Mauritius ne veut rien y comprendre et continue à vouloir offrir des contrats avec 30% de salaire en moins à de nouveaux pilotes. Ces nouvelles conditions de travail ne nous affectent nullement, mais il est un fait que ces pilotes qui touchent 30% en moins que leurs collègues vont partir à un moment donné.

Et c’était retour à la case départ?
Finalement, nous allions continuer à jouer aux dépanneurs. La situation ne cessait de s’envenimer jusqu’à ce que la direction tente de faire la même chose avec les pilotes mauriciens. Il y avait déjà des pilotes qui refusent d’aider. Les pilotes malades, il y en a une dizaine tous les jours. Il n’y en avait pas plus le 5 octobre 2017 qu’à un autre moment.
Chaque jour qui passe, il y a des vols en retard, d’autres sont annulés. Je ne peux en être tenu responsable. Le problème était plus profond. Ce 5 octobre 2017, des pilotes de bonne volonté ont décidé de ne pas donner de coup de main et avec des pilotes malades sur les bras, la direction s’est retrouvée face à un mur.
Il faut savoir que depuis un an, j’étais ciblé. Il fallait faire taire l’autre qui dérangeait, comme Megh Pillay. Je suis en contact avec des personnes à plusieurs niveaux au sein de la compagnie et je ne peux que constater un ras-le-bol général en raison de la situation actuelle ainsi que de la politique répressive de la direction.

Est-ce que vous avez pu discuter avec le CEO, voire le président du conseil d’administration ?
Il y a deux personnes que nous avons rencontrées. Mike Seetharamadoo, pour lui remettre la lettre pour qu’on nous réintègre. Et Prakash Maunthrooa, un conseiller du Premier ministre. Je lui ai fait part de ma lettre au chef du gouvernement, mais… pschitt.

Vous vous êtes battu pour les droits des pilotes. Est-ce qu’en retour, vous avec reçu le soutien nécessaire pour votre réintégration ?
Il y a beaucoup qui a été fait. Des lettres signées individuellement par l’ensemble des pilotes ont été envoyées à la direction. Une marche devait se faire, mais elle a été annulée à cause des menaces liées à la loi contre le rassemblement illégal. Il n’y a jamais eu une quelconque intention de ma part de paralyser la compagnie, contrairement à ce qu’on avance.
Il n’y a jamais eu de grève déguisée. On ne peut pas faire de grève à 10 alors qu’il y a 190 pilotes prêts à prendre le relais. Est-ce que vous avez vu comment une grève se fait en Europe ? Il y a la majorité qui débraye et une minorité qui assure le service minimum.

Dix pilotes malades ont quand même paralysé la compagnie, non?
Qui serait assez fou pour faire une grève à 10 ? Ce serait suicidaire (rires). C’est ridicule. Et puis, ce n’est pas dans les mœurs des pilotes mauriciens ou étrangers de faire une grève. C’est impensable.
Quand je négociais avec la direction en tant que président du syndicat des pilotes étrangers aux côtés de mon collègue président du syndicat des pilotes mauriciens, ce n’était pas pour des augmentations salariales. Mais, plutôt pour l’établissement d’une perspective de carrière pour les pilotes.
On souhaitait une certaine stabilité. Mais bon, certains au gouvernement ont voulu faire confiance à une petite clique opérant selon un système féodal à la tête des «flight operations». Des gens qui étaient managers lorsque j’ai rejoint la compagnie le sont toujours.

Que reprochez-vous au juste à ces managers?
Ils gèrent à la petite semaine et s’en lavent les mains quant à la santé financière d’Air Mauritius. Ils continuent à dire à un copilote que s’il souhaite devenir commandant de bord, il doit passer par la case ATR, la case punition, car ils ont dû passer par là. Il aurait été plus simple de le faire passer du siège de droite au siège de gauche au lieu de lui faire refaire un cours complet en pilotage qui nécessite des coûts énormes.
L’ego de ces personnes est générateur de coûts et de démotivations. Un pilote brimé va attendre deux ans, trois ans puis s’en aller. C’est Air Mauritius qui est la grande perdante. Nous voulions simplement que des systèmes de gestion moderne, plutôt normaux qui ont cours dans toutes les compagnies du monde, soient appliqués ici.
Nous nous sommes heurtés à un petit groupe de personnes qui veulent gérer leur petit bazar, qui disent que «c’est moi qui décide quand je veux, comme je veux, quel qu’en soit les coûts pour la compagnie». Ces pilotes-là ne volent pas les week-ends, disant qu’ils ont une famille.
C’est ahurissant. Nous sommes au XXIe siècle. Avec une compagnie qui prend l’eau de toutes parts, est-ce que ce genre de comportement peut être accepté ? On focalise sur le top management d’Air Mauritius, mais le cancer a fait des métastases à tous les niveaux. C’est un problème interne et très profond.

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