Votre amour pour le cheval date de quand ?

Ça remonte à la tendre enfance. J’ai toujours pensé que le cheval était au-dessus de tout. L’incarnation vivante du parfait. L’animal le plus fort, le plus gracieux, le plus majestueux. La proximité de mon père avec l’ancienne écurie L’Eveillé m’a permis d’être exposé très tôt aux courses. C’était l’époque des Minapalie, Aficionado, Discussion, Shu Shine Boy… Des années inoubliables. A l’époque, pourtant, j’avais un faible pour l’écurie Gujadhur. Sa casaque bleue électrique attirait inévitablement mon regard.

Durant une saison, vous assistez à combien de journées de courses ?

Jusqu’à décembre 2013, j’ai toujours répondu présent à l’appel du Champ-de-Mars. Seules des circonstances exceptionnelles pouvaient me tenir éloigné de ce que j’ai toujours considéré comme « La messe du samedi ». Cette année-ci, de façon assez inattendue, le ressort s’est cassé. J’ai dû y aller 5-6 fois, surtout pour voir courir Altelekker et Deux Fabuleax, mes deux chevaux. Il m’a fallu trente ans pour comprendre que j’ai peut-être mieux à faire un samedi.

Comment voyez-vous l’ambiance qui règne au Champ-de-Mars ?

Les turfistes ont perdu confiance. Ils ont le sentiment que les courses ne sont plus courues « fair and square », que des mains invisibles contrôlent tout.

L’affaire Gemmayze Street a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de leur indignation. C’est inimaginable, intolérable ce qui s’est passé. Voilà un cheval qui est clairement engagé dans une course non pas pour courir ses chances, mais pour nuire aux chances de son principal adversaire, Albert Mooney. Et tout ça sous les yeux incrédules de milliers de turfistes !

Pour ma part, je suis de plus en plus démotivé. La flamme s’éteint. Je crois que Facebook a contribué à ma démotivation. Sur les différents groupes dédiés aux courses, j’ai fait l’expérience de la haine et du mépris dans son expression la plus abjecte. Les gens attaquent sous la ceinture. Et c’est souvent épidermique.

Vous savez, j’ai une grande gueule et quand j’ai quelque chose à dire, je le dis. Que ça plaise ou pas. Je suis attaché à l’écurie Rousset et quand je vois quelqu’un qui se prétend consultant hippique attaquer systématiquement l’intégrité d’une écurie qui a toujours accordé de l’importance aux valeurs, je riposte ! C’est plus fort que moi. Ce même consultant porte des œillères. Il choisit ses cibles selon ses intérêts du moment, en toute impunité. Et il y a encore des gens pour l’applaudir !

En toute honnêteté, trouvez-vous que les courses s’améliorent d’année en année ou empirent-elles ?

D’un point de vue purement sportif, il est indéniable qu’on a fait un bond en avant… Un bond trop important même ! Je suis sidéré par la qualité des chevaux qu’on importe à Maurice, souvent à des prix indécents. Une course de Groupe 1, au Champ-de-Mars, c’est du très haut niveau, croyez-moi. Le plateau est parfois plus relevé à Port-Louis qu’à Turffontein… Les Dambuster, Noble Salute ou Wild Amber auraient probablement terminé à deux longueurs des meilleurs coursiers d’aujourd’hui.

Mais il y a le revers de la médaille. Les écuries sont tombées dans leurs propres pièges. Elles contribuent, sans s’en rendre compte, à une surenchère exagérée. Les exportateurs sud-africains savent qu’ils peuvent faire de bonnes affaires avec les Mauriciens, que certains sont disposés à acheter n’importe quel cheval à n’importe quel prix… Du coup, alors que le rand est en chute libre, le prix des chevaux continue paradoxalement à prendre l’ascenseur. On est arrivé à l’extrême du grotesque : il faut parfois plus d’un million de roupies pour faire venir à Maurice un 0-25 qui n’a pas gagné en Afrique du Sud ! C’est du n’importe quoi. Tout ça pour apprendre après coup que le même cheval avait failli être vendu pour 100 000 rands quelques jours plus tôt à un syndicat sud-africain qui a finalement laissé tomber parce qu’il considérait… que ce n’était pas une bonne affaire. Trop comique.

Quelle est la solution, d’après vous, pour l’assainissement des courses ?

Il n’y a qu’une solution : s’inspirer de Hong-Kong. Utiliser la méthode dure. Que les bandits soient punis sévèrement et tenus à l’écart pour de bon. Que la Police des Jeux prenne conscience de son rôle et de ses responsabilités.

Pensez-vous qu’il faut bouger du Champ-de-Mars ?

Je comprends ceux qui pensent que le Champ-de-Mars est vétuste, que ses infrastructures sont dépassées, qu’il faut un nouvel hippodrome pour le confort des chevaux mais aussi des turfistes. Et puis, c’est vrai aussi que les transferts incessants entre Floréal et Port-Louis, ça commence à devenir du vrai n’importe quoi. En une semaine, mes deux chevaux se sont blessés dans le float ! Mais, cela dit, je reste sur ma position : quitter le Champ-de-Mars va signer l’arrêt de mort des courses. Cet hippodrome, c’est un patrimoine, une tradition. Chacun de ses recoins renferme une histoire, un souvenir. Le turfiste y est très attaché. Je parie ce que vous voulez : il ne va pas suivre si on lui demande d’aller à Médine ou à Pamplemousses.

Votre meilleur souvenir ?

La victoire de Deux Fabuleax sous la selle de Nishal Teeha en fin de saison dernière. Ce jour-là, il portait ma casaque, aux couleurs du FC Metz, mon équipe de foot préférée. Une victoire de bout en bout qui m’a arraché quelques larmes. C’est une sensation extraordinaire que de voir son cheval franchir la ligne en premier.

Votre pire souvenir ?

La décision du Mauritius Turf Club (MTC), s’appuyant sur des points de règlements vétustes et dépassés, de ne pas permettre à Disa Leader de participer au Maiden il y a quelques années. Comment comprendre que le meilleur cheval du pays ne puisse pas participer à la plus grande course du pays ? Qu’importe les règlements, quand on en arrive à une telle absurdité, c’est qu’il y a urgence à les revoir et à faire une exception. Mais il n’y a jamais eu d’exception dans le cas de Disa Leader… Sans doute que la pression exercée par certains était trop forte.

Si vous deviez être un cheval, ce serait…

Prodigal, pour ses 56 victoires au Champ-de-Mars. Un record qui ne sera jamais égalé. C’est le plus grand de tous, sans aucun doute.

Est-ce que vous misez ?

Evidemment. Aimer les courses et ne pas miser, c’est comme emmener une femme dans sa chambre et avoir peur de la déshabiller. Mais tout est dans l’équilibre. La plupart des turfistes savent qu’on ne gagne pas aux courses et sont généralement très disciplinés. Ils sont toujours là au bout de vingt, trente ans. Ce sont de vrais passionnés. Ceux qui croient pouvoir s’enrichir disparaissent la queue entre les jambes au bout de quelques années et ne remettent plus les pieds sur l’hippodrome.

Moi j’ai ma méthode, à laquelle je reste fidèle depuis des années. C’est la technique du « Bet and Save », inventée par un groupe de turfistes sud-africains.

Quel conseil donneriez-vous aux turfistes ?

Je conseille aux vrais amateurs de chevaux de faire l’expérience du dernier virage, ne serait-ce qu’une fois dans leur vie. A l’angle de la rue du Gouvernement et de la rue Eugène Laurent, on voit les courses sous un autre angle. Quand un peloton aborde le dernier virage à grandes foulées, quand la terre se met à trembler sur leur passage, l’adrénaline monte, je suis pétrifié. Il n’y a pas de plus belle expérience pour un turfiste. J’y emmène régulièrement mes enfants. Entre deux courses, on parle des choses de la vie.

Un mot de la fin ?

Il est urgent que le MTC trouve la formule pour revoir à la hausse les stakes money. Quand on fait le choix d’acheter une part dans un cheval, on le fait par passion, on sait à l’avance que ce n’est pas un investissement. Rien ne déprécie plus vite qu’un coursier, pas même une voiture. Mais le petit propriétaire aimerait au moins que son cheval, s’il est performant, puisse se repayer. Je vous donne l’exemple de Deux Fabuleax. Ce n’est pas un champion, certes, mais il compte quand même trois victoires et cinq placés en 14 courses, ce qui n’est pas rien. Pourtant, il est encore très loin de pouvoir se repayer. C’est assez décourageant.

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