Depuis jeudi dernier, c’est en toute discrétion qu’une équipe d’ingénieurs locaux et d’experts étrangers planche sur une solution assez inattendue au problème de congestion routière. Elle pourrait prendre la forme d’une autoroute souterraine longue d’un peu plus de 12 km ralliant Montagne-Longue à Pailles.  Ce qui différencie ce projet de l’autoroute Terre-Rouge/Verdun, ce sont les travaux bien moins lourds à effectuer et, par conséquent, le coût moins important pour l’Etat. Tout cela, grâce à un coup de main de la nature, passé inaperçu jusqu’à il y a deux mois.

Fin janvier, affairés à trouver une solution pour réparer les fissures apparues à Valton sur l’autoroute Terre-Rouge/Verdun, une équipe d’ingénieurs locaux prospecte les alentours de la partie abîmée de l’autoroute afin d’y faire passer un voie alternative temporaire. Leur examen topographique, qui a duré deux semaines, les mène, le 6 février, à découvrir qu’un bout de terrain d’environ 70 m²  s’est affaissé en contrebas de Montagne-Longue. Un examen des lieux conduit les ingénieurs à constater l’évidence : c’est l’entrée d’une caverne ou plus précisément d’un tunnel de lave.

Jaynarain Beedassee, propriétaire du champ sur lequel l’entrée du tunnel a été découverte, ne cache pas son étonnement. « Presque le tiers de mon terrain est rocailleux et je croyais qu’il y avait plusieurs pieds de rochers en dessous. Me mo finn gagn enn sok kan mo finn vinn dan karo enn gramatin ek monn trouv enn bout terin inn defonse net. » L’agriculteur n’a pas tardé à signaler sa découverte aux ingénieurs qui prospectaient dans la région.

Après des recherches préliminaires auprès de l’Université de Maurice, les ingénieurs du ministère des Infrastructures publiques (MPI) concluent que ce tunnel de lave n’a pas été répertorié jusqu’ici. Sollicité à titre personnel, Raj Dayal, le ministre de l’Environnement, fort de récents contacts établis à l’étranger, fait dépêcher à Maurice deux équipes. L’une composée de géographes et d’ingénieurs du Japon et l’autre de spéléologues de l’Observatoire volcanologique de La Réunion. Arrivés dans l’île le 7 février, les deux équipes réussissent à répertorier tout un réseau de tunnels à partir de l’entrée de Montagne-Longue. Leur constat est édifiant, l’intense activité volcanique qui a créé Maurice il y a deux millions d’années a certes laissé des traces très visibles en surface – chaînes de montagnes et cratères – mais également dans le sous-sol. Ils cartographient ainsi 12 km de tunnel principal ainsi que 4 tunnels secondaires faisant chacun moins de 2 km de long. Le réseau court ainsi de Montagne-Longue à l’est de Pailles, à seulement quelques centaines de mètres de là où les travaux de la Ring Road ont été stoppés.

La stupeur du début laisse vite place à une idée originale. « Dans leur rapport, les experts ont conclu qu’environ 78% du tunnel mesurent entre 12 et 18 mètres de large avec une hauteur quasi constante de 5 mètres. Nous avons plaisanté en disant qu’il y avait de quoi faire passer une route à deux voies », confie un des ingénieurs ayant assisté les experts étrangers dans leurs relevés topographiques. L’idée ne paraît toutefois pas si farfelue que cela à Takeshi Urami, un des géologues japonais de l’équipe. Celui-ci leur explique en effet que non seulement l’idée est recevable, mais surtout que de tels aménagements ont été réalisés en Uruguay, en Australie et en Islande.

coulee lave

 Les tunnels de lave répertoriés par les experts réunionnais et japonais

Toutefois, quelques problèmes pratiques sont rapidement identifiés.  Il s’agit d’abord d’aérer le tunnel pour que l’air y circule, ensuite de vérifier que l’eau de pluie ne s’infiltre pas en grande quantité dans les tunnels lors de grosses averses. Puis, il y a ces endroits où la lave a emprunté des parcours sinueux, rebroussant presque chemin avant de repartir dans la direction opposée, ce qui nécessitera qu’on creuse dans la roche pour raccourcir le chemin à parcourir. « Ce sont les problèmes les plus importants à surmonter. Or, en faisant nos recherches, nous avons constaté que des solutions existent pour chacune d’entre elles. Donc, quitte à nous faire traiter d’illuminés, nous avons décidé de soumettre l’idée à notre ministre », avance un ingénieur local.

Peu convaincu, le ministre des Infrastructures publiques accepte néanmoins d’effectuer une discrète visite des lieux fin février. Plus réceptif à l’issue de sa visite, Nando Bodha nomme une équipe de son ministère pour évaluer la faisabilité du projet. Celle-ci conclut rapidement que l’expertise de techniciens étrangers, notamment ceux ayant travaillé sur des projets similaires en Islande ou en Uruguay, est nécessaire. Dès le 7 mars, le Conseil des ministres donne son feu vert pour rassembler à très courte échéance une équipe d’experts chargés de donner un premier avis au gouvernement sur la transformation de ce réseau de tunnels de lave en autoroute.

Actuellement à Maurice, Torben Seppalainen, un des concepteurs  d’une autoroute du même type en Islande, estime que ses toutes premières observations lui font dire que le projet sera probablement faisable. Mais quid des coûts ? « En Islande, le kilomètre d’aménagement souterrain nous a coûté 2 millions de dollars. Le coût pourrait grimper à 2,2 millions à Maurice. » Soit un montant total d’environ Rs 975 millions pour 12 km de route. Alors qu’à peine deux fois plus longue (22 km), l’autoroute Terre-Rouge/Verdun a, elle, coûté 4 fois plus cher.

Cet argument économique de taille aurait convaincu le gouvernement d’envisager sérieusement cette solution. Si celle-ci est privilégiée par l’Etat, un exercice d’appel d’offres international sera rapidement lancé pour choisir l’entreprise qui sera chargée de dessiner l’autoroute souterraine et celle qui aura la responsabilité de la construire. « Le grand intérêt de cette formule, c’est la rapidité de sa mise en œuvre. Une fois les contrats alloués, le nouvelle autoroute pourrait être utilisable en un an à peine », affirme Torben Seppalainen. C’est le temps qui est nécessaire pour remettre en état le tronçon de quelques centaines de mètres de route abîmée à Valton…

 

 

 

 

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