Le Cap Canaveral local était grouillant d’activité. 10, 9, 8, 7, 6… Le 29 juillet dernier, on lance le compte à rebours. La fusée Pravind Jugnauth quitte sa rampe de lancement en début de soirée, ce jour-là. Face aux réticences internes par rapport à cette mise en orbite – jugée prématurée –, les difficultés réelles du capitaine actuel à assumer la plénitude de ses fonctions l’emportent.

A la faveur d’un Budget « intéressant », accueilli favorablement par la population et la communauté des affaires, le premier étage du lanceur se détache sans encombre. Mais les premières difficultés apparaissent. Une violente dispute entre deux membres d’équipage dévie la navette Pravind Jugnauth de sa trajectoire. Dans la foulée, une défaillance technique majeure d’une pièce ayant coûté Rs 19 millions fait retentir le signal d’alarme. « Port-Louis, we’ve had a problem here », lance le capitaine de la navette. « Abort the mission », réplique Mission Control. La mise en orbite prévue avant la fin de l’année 2016 ne sera désormais possible que début 2017.

De retour sur terre, le chef d’équipage et son staff technique prennent la mesure des défaillances graves survenues durant la phase de décollage initiée le 29 juillet. La plus grave est sans doute les querelles incessantes survenues au sein même de l’équipage. Une réunion discrète, tenue en début de semaine dernière, a permis au chef de mission de lancer un rappel à l’ordre sans équivoque aux deux équipiers dissipés. Cela semblait même avoir fonctionné jusqu’à ce que les hostilités reprennent, d’abord de manière feutrée. Puis à travers des accusations sur l’existence d’une « mafia » au sein même de l’équipage.

On ne mesure pas assez la portée de telles dissensions au sein d’un équipage dont la mission première est de s’assurer de la mise en orbite de la navette Pravind Jugnauth. Or, on semble désormais s’acheminer vers le moment où une décision radicale sera prise. Elle pourrait prendre la forme d’une audition dans le cadre d’une enquête, d’un comité disciplinaire indépendant visant à évaluer le comportement et les motivations d’un des deux membres d’équipage.

Face à une telle mise en cause, les réactions des personnes concernées peuvent être radicalement différentes. Si certaines peuvent accepter le principe d’une enquête de manière stoïque, d’autres peuvent interpréter ce développement comme une humiliation publique, voire une déclaration de guerre. Une attaque susceptible de conduire à un baroud d’honneur potentiellement dévastateur.

L’acte de défiance peut se jouer en trois étapes dont l’ordre chronologique importe peu. D’abord une démission, qui aura pour effet d’amener la direction de la mission de mise en orbite à devoir trouver un nouveau membre d’équipage rapidement. Voire à décaler à nouveau la programmation du décollage en attendant de résoudre ce problème.

Ensuite, l’ancien membre d’équipage – à la faveur de sa liberté retrouvée – peut s’autoriser à mettre en doute la compétence des autres membres de la navette. Allant même, qui sait, à démontrer, preuve à l’appui, leur inaptitude à faire partie de la mission suite à des fautes graves commises dans le passé. Enfin, un ancien membre d’équipage un peu fouineur et curieux aura aussi tôt fait de déceler des composants et pièces défaillants de la navette. Il faut imaginer les conséquences de telles révélations sur la pérennité de la mission de mise en orbite.

La défaillance d’une pièce à Rs 19 millions ayant déjà été décelée, la direction de la mission tentera par tous les moyens de circonscrire le problème à ce cas particulier. Ainsi, même si cette pièce est réparable, on l’enverra, de manière expéditive, directement à la casse. Histoire de démontrer qu’aucun autre composant de ce type n’a vocation à faire partie de la fusée de lancement ou de la navette qui sera mise en orbite.

Pendant ce temps, une équipe d’ingénieurs et d’hommes d’équipage regarde les déboires de la navette Pravind Jugnauth avec intérêt. Cet équipage a réussi quelques mises en orbites en 1982, 1991, 1995, 2000 et ne rechignerait pas à tenter à nouveau le coup. Une manière pour son capitaine vieillissant de démontrer qu’il n’a pas perdu la main et pour son staff – cloué à terre depuis 11 ans – de reprendre de l’altitude. Il faut ainsi presque conclure que seul le timing de la mise en commun des compétences des deux équipes est sujet à discussion. Tant le principe de leur rapprochement semble, lui, acquis.

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