C’est encadré de policiers que Ghulam Mohamad Adam Edoo est arrivé à la commission d’enquête sur les drogues. Pour cause, le quadragénaire, secrétaire du Front Solidarité Mauricien (FSM), est actuellement en détention préventive pour ne pas s’être présenté en cour après avoir écopé d’une contravention. Au FSM, il dit être le responsable de la section solidarité.

Dès le début de l’audition, Paul Lam Shang Leen s’intéresse aux finances du parti que dirige Cehl Meeah. Ce sont des particuliers qui contribuent, affirme le témoin au président de la commission d’enquête: «Toulezour kas rantre, nou fini partaz li, nou pa gard li.» Conformément aux prescriptions de l’islam, explique le témoin. Celui-ci est néanmoins incapable de donner le montant global reçu et encore moins la somme totale dépensée. «Zame fi’nn fer bilan», se justifie-t-il.

Et qui le FSM aide-t-il? cherche à savoir l’ancien juge. Le témoin dit ne pas comprendre le pourquoi de la question et se fait immédiatement rappeler à l’ordre par le président de la commission. Forcé à obtempérer, Edoo explique que l’argent remis au parti est utilisé pour payer les factures d’électricité de personnes en détresse, à acheter leurs provisions, même pour régler leurs amendes. Pour n’importe quel délit ? sursaute Lam Shang Leen. «Wi, mo pa gagn drwa ziz dimounn mwa», tempère le témoin.

Jamais, répond toutefois celui-ci quand son interlocuteur lui demande s’il a déjà payé l’amende d’un trafiquant de drogue. L’ancien juge lui rappelle qu’il est sous serment, mais celui-ci persiste. Le président de la commission précise donc sa pensée. N’a-t-il pas été contacté par une femme qui lui a demandé de payer l’amende de son époux afin qu’il sorte de prison? Le détenu n’était-il pas en prison pour une affaire de drogue ? Est-ce que le secrétaire du FSM a fait une enquête pour vérifier le background de la personne qu’il s’apprêtait à aider ? «Pa gagn drwa ziz li», se défend à nouveau le témoin.

Il livre la méthode, ou plutôt l’absence de méthode du FSM face aux sollicitations. Edoo explique qu’il n’existe pas de critère établi pour décider qui aider. D’ailleurs, il dit prendre les décisions seul. Avant de confirmer qu’il s’est bien rendu à la prison le 14 novembre 2017 pour remettre Rs 500 000 à la femme du détenu pour lui permettre de payer l’amende de son mari, également condamné à une peine d’emprisonnement de 9 ans.

Paul Lam Shang Leen répète la question une demi-douzaine de fois : savait-il qu’il aidait un trafiquant de drogue? La même réponse fuse : «Mo pa la pou ziz dimoun.» Le président de la commission cherche à confirmer les faits, il a bien remis Rs 500 000 à la femme du trafiquant et un reçu officiel de la prison a été émis. Dans ce document, Edoo précise la source de l’argent : la zakaat [ndlr : le don que les musulmans sont censés remettre aux nécessiteux chaque année].

Le président de la commission tend le reçu au témoin en lui indiquant que la somme totale payée est de Rs 501 600 soit Rs 1 600 de plus que le plafond autorisé d’une transaction en liquide. Mais Edoo explique que c’est la femme du détenu qui a contribué les Rs 1 600 et qu’un unique reçu a été délivré.

Lam Shang Leen veut comprendre le type de montants que le FSM débourse suite aux sollicitations. «Rs 2 000, Rs 3 000, Rs 10 000, boukou nou peye», explique Edoo avant d’affirmer que le FSM dispose de Rs 6 000 pour l’heure.

Devant l’étonnement du président de la commission face à une trésorerie aussi dégarni, le témoin poursuit son explication. Les donateurs contribuent parfois pour des dépenses spécifiques. L’argent provenant d’intérêts bancaires ne peut être contribué comme zakaat, d’où l’absence de compte bancaire du parti. «Ou al zwe lekours ar sa apre?» reprennent en chœur Paul Lam Shang Leen et son assesseur Sam Lauthan en évoquant les sommes d’argent que manie Edoo.

Le témoin détaille la nature des contributions que reçoit le parti. Dont certaines en livres et en euros en provenance de l’étranger. Ce qui amène le président de la commission à souligner une incohérence. Si l’argent reçu par le FSM est d’ordinaire dépensé rapidement, il y avait pourtant Rs 500 000 disponibles pile au moment où le témoin en avait besoin. Celui-ci finit par avouer : «Se kass lekours, sa mem mo’nn servi pou donn li.» L’ancien juge s’assure d’avoir bien compris : «Sa ve dir pa kass zakaat sa!»

Le leader du parti, Cehl Meeah, était-il au courant de ces petits arrangements ? Non, assure le témoin. Selon lui, si le chef du FSM refuse de toucher l’argent des intérêts, il est évident qu’il serait contre l’idée d’utiliser l’argent venant de paris hippiques.

Sam Lauthan prend le relais et énumère les délits pour lesquels le bénéficiaire de l’aide du FSM avait été précédemment inquiété: forgery, public mischief, swearing of false affidavit et le dernier en date, conduite sans permis. Le témoin demeure stoïque.

L’assesseur de la commission veut, du coup, savoir si le parti a tenu une comptabilité de tous les dons reçus et de toutes les aides consenties. Edoo affirme que depuis un an, le parti n’a plus de «paperwork» à ce sujet. Cehl Meeah s’étant éloigné de la politique depuis un an, le parti a cessé de tenir un registre, ce type de transactions se faisant désormais par «la parole».

Sam Lauthan n’en démord pas. Il dit espérer que Cehl Meeah, candidat à la partielle du 17 décembre à Belle-Rose/Quatre-Bornes, n’ira pas clamer avoir aidé des nécessiteux. «Parski devan mwa, li’nn deza maltret dimounn», assène l’assesseur, visiblement très irrité.

Il embraye, l’argent de la zakaat doit être distribué à ceux qui le méritent. L’assesseur réclame des comptes au témoin. A-t-il vérifié si celui qu’il a aidé n’est pas retombé dans le trafic de drogue? Devant le manque de répondant de celui-ci, Lauthan s’énerve à nouveau : «Grav terib saki ou fi’nn fer.» Il n’en a pas fini avec le témoin, à qui il demande s’il continue à jouer aux courses. «Pena freyer dan ou leker?» Edoo tient tête : «Personn pa parfe.»

L’ancien ministre de la Sécurité sociale s’est fait une opinion: «Saki grav, se ki dimounn donn kass pou donasion. Zot panse pe al pou enn bon zafer.» Tout en expliquant que la famille de celui qu’Edoo a aidé est connue de la police, pour son implication dans des affaires de drogue. «Me sa madam-la inn vinn plore. Li dir mwa so misie inn sanze», se justifie le témoin. Lauthan explose: «Vinn ar mwa, mo montre ou vre larm ki ete», lance-t-il en se frappant l’estomac.

Paul Lam Shang Leeen prend le relais pour conclure la séance. Il demande au témoin de se démener et de ramener la liste de toutes les donations reçues ainsi que de toutes les aides consenties. L’ancien juge demande également à Edoo de fournir l’ensemble des transactions sur son compte de Tote ainsi que son relevé bancaire également.

La séance se termine par une question anodine. Quel est donc le métier du témoin? Celui-ci dit être marchand ambulant, vendeur de vaisselle et animateur de foire.

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