Le décès d’une gamine de 13 ans – enceinte de surcroît – est un drame. Dans ce type de situation, il est quelque peu normal qu’on cherche un coupable. On en a trouvé deux : un post pubère de 19 ans ainsi que la règle d’exception qui lui a permis de se marier religieusement à une Ruwaidah à peine pubère. Il n’en a pas fallu davantage pour que les rancœurs et les peurs se réveillent. On cherche les excités qui ont envahi la Place d’armes le 2 juin, on tient le religieux pour responsable de cette tragédie. Or, le problème des grossesses précoces est bien trop grave pour qu’on le regarde par le petit bout de la lorgnette d’un nikah.

L’Islam n’est pas la religion principale en Bulgarie ou en Roumanie. Pourtant, entre 2010 et 2015, ce sont ces deux pays qui avaient le taux de grossesses précoces le plus élevé en Europe dans le groupe d’âge de 10 à 14 ans. CQFD: on n’a pas besoin d’être marié [religieusement] pour tomber enceinte.

Si le problème est bien moins prononcé à Maurice, il n’en est pas moins réel. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter les 14 rapports de l’Ombudsperson for Children. Dans chacun d’entre eux, Shirin Aumeeruddy-Cziffra puis Vidya Narayan et Rita Venkatasawmy tirent la sonnette d’alarme au sujet de ce «major issue» à Maurice et à Rodrigues.

Quantitativement, on n’en mesure pas suffisamment l’ampleur. Car les statistiques nationales sont légèrement floues sur la question. Certes, les relevés d’accouchements par tranche d’âge dans le Family Planning and Demographic Yearbook d’octobre 2017 comprennent la catégorie 15 à 19 ans. Toutefois, c’est une lecture attentive du document qui permet de comprendre que ce groupe «includes 27 live births occurred to mothers aged less than 15 years in 2015 and 24 in 2016».

Les rapports successifs de l’Ombudsperson for Children permettent de plaquer des situations concrètes sur ces chiffres. Il y a, par exemple, cette mineure de 10 ans, enceinte après avoir été victime d’inceste par son père. Ou encore cette gamine, habituée à la promiscuité des bicoques, enceinte après avoir voulu faire comme ses copines du quartier. Quand ce n’est pas la fille à papa, fréquentant un bon collège mais fuguant régulièrement pour retrouver un amoureux qui, par ignorance ou insouciance, lui fait un bébé.

Chacune de ces situations est gérée différemment. Dans les familles des classe moyennes et aisées, l’erreur de parcours est souvent corrigée – quand ce n’est pas trop tard et visible – par une dose de misoprostol ou un discret séjour dans une clinique à Maurice ou de la région. Au sein de certain foyers, les adolescentes récalcitrantes, requalifiées en «child beyond control», sont confiées aux Rehabilitational Youth Centres. Qui sont alors chargés de les «corriger».

Dans d’autres circonstances, les parents démissionnent. Pour Ruwaidah, cela a pris la forme d’un mariage religieux. Ailleurs, de guerre lasse, une mère esseulée ou les deux parents consentent à voir leur enfant emménager avec et devenir la concubine d’un homme de plusieurs années son aîné.

Parfois, cela s’accompagne du soulagement de devoir nourrir une bouche en moins et loger une personne en moins dans une bicoque déjà pleine à craquer. Immunisés face à ce type de situation, les voisins ne disent rien. Après tout, d’autres l’ont fait avant eux dans le quartier, rationalisent-ils. Pourquoi alerter les autorités quand on peut préserver la paix dans le voisinage. Il ne reste plus qu’à trouver normal qu’une gamine de 15 ans qui vit avec un homme de 25 ans est déjà enceinte de 4 mois…

Les règles doivent certes être harmonisées et durcies, le mariage des mineurs, interdit. Afin d’empêcher, de diverses manières, qu’une fille entame une vie conjugale et/ou de mère alors que son corps et son esprit n’y sont pas encore préparés. Toutefois, dans la plupart des situations, la gestion du problème – et surtout sa prévention – passe sans doute par d’autres voies.

Pour les jeunes encore scolarisés : une vraie éducation sexuelle dès le primaire demeure une nécessité. A l’école ou ailleurs, un encadrement affectif et social doit pallier le délitement de la cellule et des valeurs familiales. Pour ceux déjà en marge du système scolaire, la prise en charge doit nécessairement incorporer un élément logement, de lutte contre la pauvreté et la sensibilisation des parents.

L’échec de la prévention doit parallèlement être compensé par un mécanisme d’alerte entre différents ministères: la Santé doit rapidement parler à la protection de l’enfant par exemple. Afin d’assurer sa prise en charge efficace tout en permettant que ceux qui ont contribué à mettre l’enfant dans cette situation – par action ou omission – en subissent les conséquences.

Nous devons bien cela à Priya, Cindy, Deepika ou Elodie… qui endureront peut-être demain le même sort que Ruwaidah.

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