Rien, dans le budget de Pravind Jugnauth, n’est une vraie surprise. Même pas la baguette magique qui a transformé la Banque de Maurice (BoM) en gigantesque tirelire du ministre des Finances.

Déjà, il y a cette accusation éculée. Depuis le discours du budget de l’année dernière, plusieurs des adversaires du chef du gouvernement avaient condamné son penchant jugé «électoraliste». Cette année-ci, toute l’opposition a repris en chœur l’accusation. Si ses adversaires demeurent cohérents dans la critique, le ministre des Finances l’est aussi dans sa méthode.

Deux des mesures les plus populaires – et surtout sonnantes et trébuchantes – annoncées par Jugnauth lundi dernier ne sont en fait que des éléments repris et réactualisés de son discours précédent. En effet, pour plaire au plus grand nombre, le Premier ministre a annoncé une baisse de Rs 30 de la grande bouteille de gaz ménager. Ainsi qu’une réduction de Rs 3 sur le litre d’essence et de diesel. En juin 2018, Jugnauth avait aussi annoncé une baisse de Rs 30 du gaz. Les réduction du prix du diesel et de l’essence avaient, elles, étaient un peu plus modestes : Rs 1,90 et Rs 2,35 respectivement.

Cette année-ci, la nouveauté réside dans l’augmentation de Rs 500 sur la basic retirement pension (BRP). Ainsi qu’une avance mensuelle de Rs 1 000 aux fonctionnaires sur les increments qui seront recommandées par le rapport du Pay Research Bureau de janvier 2021. D’aucuns se focaliseront sur la déception que ces deux annonces suscitent. Les fonctionnaires s’attendaient au paiement de 3 increments. Tandis que les séniors, aguichés par les spéculations autour d’une forte augmentation de la BRP, se voyaient déjà toucher quelque Rs 9 000 par mois.

A moins que le Premier ministre ne tente un coup de poker insensé en rappelant le pays aux urnes très rapidement, nous sommes à environ 6 mois des législatives. Jugnauth n’avait aucune raison d’offrir immédiatement de trop généreux cadeaux à deux composantes de l’électorat dont le soutien lui est essentiel : la classe moyenne des fonctionnaires et les seniors. C’est donc de manière tactique que le ministre des Finances a différé l’application de ces deux annonces à janvier 2020. Histoire de pouvoir rappeler – durant la campagne électorale – aux fonctionnaires et seniors à qui ils doivent les Rs 1000 et Rs 500 de revenu additionnel qu’ils toucheront alors incessamment.

Une législative se gagne un mois, voire moins, avant que les électeurs ne se rendent dans l’isoloir. Quelques mesures ronflantes, annoncées maintenant, verraient leurs effets se dissiper après 3 ou 4 mois. Donc, malgré les louanges que lui adressent ses troupes sur son sens de la responsabilité, nous pensons que le ministre des Finances a soigneusement évité d’inclure les cadeaux les populaires dans son discours du budget. D’une part pour ne pas être taxé d’irresponsable. Mais surtout, d’autre part, pour mieux les annoncer à l’approche du scrutin. Espérant, ainsi, marquer les esprits des électeurs indécis. Un peu comme avec l’annonce inopinée de la forte augmentation de la BRP par l’Alliance Lepep en 2014.

La trouvaille de la mise en vente du passeport et de la nationalité mauricienne dans le dernier discours du budget avait été une – désagréable – surprise. Mais ceux qui classent de la même manière l’utilisation des réserves de la BoM pour combler la dette publique se trompent. En effet, avec un amendement à la BoM Act, l’alliance MSM-ML s’apprête à trouver une nouvelle utilité – légale mais peut-être pas morale – pour les réserves de la Banque centrale. Celle de pallier l’incapacité chronique du ministère des Finances à créer suffisamment de croissance et d’activité dans le pays pour augmenter la capacité de remboursement de la dette du gouvernement.

En faisant cela, Jugnauth s’installe sans surprise dans la logique défendue si éloquemment par Gayan. «Government is government and government decides», avait clamé le toujours humble et populaire ministre du Tourisme. C’est inspiré par le même mantra que Jugnauth organise la mise sous tutelle des réserves de la BoM. Prouvant par la même la docilité de la direction de l’institution, qui s’est empressée de donner un gage de sa loyauté. Mais aussi le manque de transparence de la manœuvre. Car jusqu’ici, personne au gouvernement n’a jugé bon de donner des détails sur les conditions exactes entourant l’utilisation des réserves de la BoM. Ou encore le niveau de réserve incompressible que l’institution maintiendra, au-delà du bon vouloir du gouvernement.

Ce n’est pas avec ce budget que Pravind Jugnauth placera miraculeusement le pays sur une trajectoire de croissance de 5% ou davantage. Il est même difficile de croire que le redressement de l’économie et des secteurs en difficulté constitue réellement la priorité de Pravind Jugnauth. Tant ses propositions sont moyennes et sa perspective peu ambitieuse et innovante.

C’est encore moins avec ce budget qu’il gagnera de facto les législatives. Il tentera néanmoins de transformer l’essai en annonçant ses mesures réellement électoralistes et sans doute coûteuses à l’Etat durant la campagne électorale. Le budget sera passé, Jugnauth n’aura plus besoin d’utiliser le masque de ministre responsable. Il n’aura en tête que la seule fin politique qui compte : revenir au pouvoir.

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