Dans un hindi comique, Donald Trump avait entonné : «Ab ki baar, Trump sarkar»***. Fin 2016, le candidat républicain avait piqué le slogan de campagne de Narendra Modi pour mieux séduire la diaspora indienne installée aux Etats-Unis. Le Premier ministre de l’Inde pourrait en influencer un autre, plus près de chez nous. Des projets d’infrastructures majeurs à la sécurité nationale en passant par l’économie, le bilan du gouvernement de Pravind Jugnauth est en grande partie labélisé Made by India. Dépendant de ce qu’il se passe dans la Grande Péninsule lors des législatives prévues dans quelques semaines, le patron du Bharatiya Janata Party pourrait davantage inspirer le leader du MSM. C’est un choix à double tranchant.

Avant le budget présenté ce 1er février  à l’Assemblée nationale indienne, plusieurs commentateurs politiques avaient prévenu le gouvernement. Rappelant la tradition selon laquelle un gouvernement indien sortant ne présente qu’un budget intérimaire à quelques mois des législatives. Mais avec la flopée de mesures à l’intention de la classe moyenne indienne et des agriculteurs notamment, le gouvernement de Modi est accusé d’avoir utilisé l’exercice à des fins électoralistes.

Il semblait évident que Modi allait tenter une opération de séduction à l’égard de la classe moyenne, des agriculteurs et des petites et moyennes entreprises. A Maurice, sans la contrainte de règles sur la responsabilité fiscale, Pravind Jugnauth doit déjà être en train de réfléchir à ce qu’il compte offrir à la classe moyenne – notamment les fonctionnaires – ainsi qu’aux retraités et aux agriculteurs. Car ce sont trois des plus importantes composantes de la base électorale qui pourrait assurer sa réélection.

En annonçant sans préparation adéquate la gratuité de l’enseignement supérieure public, Pravind Jugnauth a donné le ton dès le 1er janvier. Après cette mesure à Rs 600 millions par an, on voit déjà poindre les autres. La hausse à Rs 5 000 de la pension de retraite universelle (BRP) annoncée par l’Alliance Lepep fin 2014 avait fait passer le poste «old age» du budget du ministère de la Sécurité sociale de Rs 14,7 milliards pour l’année 2014 à Rs 18,3 milliards pour l’année fiscale 2015-2016. La facture de revalorisation de la BRP au niveau du salaire minimum sera également lourde. Le dernier rapport du Pay Research Bureau a coûté Rs 3 milliards à l’Etat, la publication anticipée du nouveau engendrera de nouvelles dépenses publiques dès la prochaine année fiscale. L’aide aux agriculteurs est une constante dans les budgets de Pravind Jugnauth. Ce début juin, l’annonce de nouvelles subventions semble ainsi inévitable.

S’il décide de cajoler en priorité ces segments électoraux, Pravind Jugnauth effectuera un choix politique particulier. Il découlera d’un constat simple. Si la composante majoritaire de la population est résolument «on the fence» en ce moment, les franges minoritaires de l’électorat cultivent une défiance résolue envers le gouvernement. Qu’ils accusent de les avoir abandonnées en trahissant ses promesses d’une société plus égalitaire.

Cette situation – qui ne semble pas prête de changer à court terme – a poussé quelques cyniques à conclure que les prochaines législatives ne se gagneront pas sur les franges. Mais plutôt par le ralliement du bassin électoral traditionnel du MSM. Le raisonnement tient la route surtout si le parti de Pravind Jugnauth n’arrive pas à trouver un terrain d’entente préélectoral avec le PMSD ou le MMM afin de compenser sa faiblesse dans les circonscriptions urbaines et marginales.

En 2010, l’alliance Travaillistes-MSM-PMSD avait certes gagné, mais le MMM avait réussi à mobiliser 4 électeurs sur 10 sur le plan national. En 2019, Pravind Jugnauth se rêve en rassembleur de sa base traditionnelle à qui il demandera de choisir entre Navin Ramgoolam et lui. C’est bien pour cela qu’il ne rate pas une seule occasion de marquer sa différence de son principal adversaire. A grand renforts d’allusions sur son attachement aux valeurs traditionnelles. La logique est simple : disputer âprement les 32 à 35 sièges en jeu. Tout en espérant faire pencher la balance marginalement ici et là, face à une opposition qui rallierait d’abord les minorités.

Comme en 2010, cette stratégie politique est toutefois dangereuse. Si en Inde, le penchant hindutva du BJP est assumé, un parti de gouvernement à Maurice ne peut se permettre de ne séduire en priorité qu’une partie de l’électorat, peu importe son importance numérique. A force de vanter sa relation privilégiée avec l’Inde et le gouvernement de Modi, Pravind Jugnauth s’est mis à dos une frange de la population. Qui, instiguée parfois par des médias mal informés, vit dans la hantise d’une hégémonie indienne sur Maurice. Voire tout simplement d’une nouvelle hégémonie hindoue.

Les prochaines législatives promettent d’être tendues, notamment avec l’usage abusif des réseaux sociaux. Par ses choix, Pravind Jugnauth doit aussi empêcher l’usage abusif de l’ethnicité.

 

*** Cette fois, ce sera le gouvernement de Modi

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