«I have been guided once again by a deep sense of responsibility and commitment.» La phrase date d’avril 2005. Elle a été prononcée par Pravind Jugnauth, ministre des Finances d’alors, en introduction de son deuxième discours du Budget. Quatorze ans plus tard, il est évident que sa vision de faire de Maurice une «Duty Free Island» a souffert de myopie. L’effet momentané de sa «décision historique» d’éliminer les droits de douane sur des dizaines de produits courants ayant été insuffisant pour empêcher le retour au pouvoir de Navin Ramgoolam. Dès le premier jour de l’année 2019, Pravind Jugnauth a de nouveau évoqué sa vision. Mise en œuvre de manière irréfléchie, celle-ci pourrait jouer des tours à son camp politique et, plus fondamentalement, aux finances publiques.

Le chef du gouvernement a sans doute imaginé son annonce au sujet de l’enseignement supérieur comme l’élément phare de son allocution du Nouvel an. Mais tout indique que celle-ci est à ranger dans la catégorie «lapin sorti d’un chapeau». Le ministère des Finances prépare, à chaque Budget, une prévision triennale de dépenses ainsi qu’un plan stratégique couvrant la même période. Or, aucune mention, même vague, n’est faite dans le dernier Budget de la gratuité de la scolarité dans l’enseignement supérieure à partir de la rentrée 2019.

La valeur totale des subventions de l’Etat aux 6 établissements publics du tertiaire est estimée à Rs 951 millions en 2018-2019, puis à Rs 969 millions et Rs 979 millions les années fiscales suivantes. Soit des variations de moins de 2% d’une année sur l’autre. Quand on sait que la plus grande part des revenus de l’université de Maurice, par exemple, provient des subventions de l’Etat et non des «academic fees», on comprend donc vite que l’annonce de Pravind Jugnauth «qui marquera l’histoire» n’a pas été mûrement réfléchie.

Le discours de Pravind Jugnauth contient ainsi d’autres sujets de préoccupation. Dans sa volonté d’entamer son année électorale de bon pied, le Premier ministre ouvre aussi une ligne de front avec les syndicats de la fonction publique. L’annonce que la publication du rapport du Pay Research Bureau (PRB) – attendu pour fin 2020 et applicable début 2021 – pourrait être avancé n’est en rien anodin.

Vu la portée financière et politique de ce rapport pour un gouvernement, le Premier ministre n’aurait jamais pris le risque d’évoquer une mise en œuvre prématurée s’il n’avait pas déjà des indications claires que c’est dans l’ordre du possible. Mais une nouvelle fois, les prévisions budgétaires jusqu’à l’année fiscale 2020-2021 ne tiennent pas en compte les quelques milliards annuels nécessaires au financement de la prochaine revalorisation salariale des fonctionnaires.

Si les fonctionnaires ont désormais la possibilité d’exiger du Premier ministre qu’il tienne sa promesse, les retraités peuvent également espérer bénéficier de la «considération spéciale» de ce dernier. Depuis plusieurs mois, l’éventualité qu’un revenu national garanti pour les retraités – aligné sur le salaire minimum de Rs 9 000 – est évoquée comme la prochaine annonce phare du gouvernement. Or, les dépenses prévisionnelles de la Sécurité sociale pour l’année fiscale 2020-2021 n’augmentent que de Rs 2,1 milliards comparativement à l’année fiscale précédente. Soit une somme largement insuffisante pour financer les prestations sociales additionnelles d’une année sur l’autre et l’augmentation généralisée de la pension de retraite universelle pour ceux n’ayant que celle-ci pour unique source de revenus.

Le ton de Pravind Jugnauth et ses promesses sous-entendues sont inquiétants car le gouvernement n’a pas, pour l’heure, les moyens de financer de tels cadeaux préélectoraux. La croissance économique, stagnante selon les dernières prévisions, n’augure nullement de revenus additionnels substantiels. Les 8,3% de croissance dans les revenus fiscaux entre les années fiscales 2019-2020 et 2020-2021 seront largement insuffisants pour financer le nouveau rapport PRB et la revalorisation de la pension de retraite universelle.

L’annonce de l’éducation supérieure publique gratuite est sans doute une bonne indication de la forte tentation de Pravind Jugnauth de saupoudrer son Budget de coûteuses mesures populaires. La question demeure toutefois : comment ces cadeaux seront-ils reçus par les électeurs. Pragmatique, sir Anerood Jugnauth ne manquait pas une occasion d’enjoindre ses supporters à accepter volontiers les cadeaux de Navin Ramgoolam lors de la dernière campagne électorale. Tout en leur suggérant de voter ensuite contre l’alliance Parti travailliste-MMM.

Navin Ramgoolam n’hésitera probablement pas à faire preuve du même cynisme. Face à cela, Pravind Jugnauth devra décider s’il prend l’électeur moyen pour un opportuniste blasé ou un individu capable de voter pour un bilan présenté par un chef du gouvernement responsable. L’arbitrage s’annonce difficile face à un électeur dont la caractéristique principale semble désormais être son imprévisibilité.

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