Elle croulait sous les éloges dans la presse et fédérait le soutien de tous les bords politiques. Ils étaient rares à questionner la légitimité d’Ameenah Gurib-Fakim à la présidence de la République, le 5 juin 2015. Trois ans plus tard, l’opinion publique traite notre chef d’Etat comme un simple politique. Au fil de ses erreurs de jugement et de ses fautes, Ameenah Gurib-Fakim est probablement le chef de l’Etat le moins respecté des Mauriciens. On aurait toutefois tort de penser que c’est l’usage d’une carte de crédit, mise à sa disposition par le Planet Earth Institute (PEI) d’Alvaro Sobrinho, qui constitue la goutte de trop. En fait, la jarre de Madame la présidente est pleine depuis un moment.

Au début, il y a eu un style. C’est vrai. Nous n’avions pas encore eu un président de la République dont le rayonnement international est comparable à celle d’Ameenah Gurib-Fakim. Elle a accumulé les prix et les reconnaissances à travers le monde. Si bien qu’en arrivant au Réduit, la nouvelle présidente a pris beaucoup – sans doute trop – de hauteur par rapport aux préoccupations des Mauriciens. Elle est restée dans sa zone de confort : les idées, la science, la théorie…

La présidence de Gurib-Fakim, c’est celle de la stratosphère. Des kilomètres au-dessus de la simplicité d’un Cassam Uteem allant prendre une tasse de thé chez un couple de retraités. De la modestie d’un Karl Offman. De la rusticité d’un sir Anerood Jugnauth toujours prêt à partager un peu de sagesse populaire. Ou encore de l’émotivité d’un Kailash Purryag.

Ameenah Gurib-Fakim, au fil de ses sorties et de ses prises de parole, a assis son image élitiste. Certes, elle a réuni parfois les associations religieuses lorsque des tensions sont apparues. Ouvert, aussi, les jardins du Réduit à l’art. Elle a aussi fait le strict minimum auprès des sinistrés de Berguitta. Mais n’a pas été vue, les manches retroussées, dans des poches de pauvreté ou auprès de familles en difficulté. Si elle voulait incarner une people’s president, c’est certainement raté.

A la place, on a eu une Ameenah Gurib-Fakim dont le besoin de rayonner à l’international nous pousse presque à penser qu’elle est en campagne pour briguer la direction de l’Unesco, de la FAO ou de la WHO. Celle qui a parfois été décrite à l’étranger comme la «first elected female president» de Maurice, a déjà expliqué, dans le sillage de l’affaire Sobrinho, qu’elle s’est donnée une mission de diplomatie économique et scientifique. Mais on mesure assez mal les résultats concrets de sa diplomatie.

A contrario, on peut même se demander combien débourse l’Etat chaque mois pour la moyenne de 1 à 2 missions à l’étranger de la présidente. Certes, elle fait souvent payer ses frais de déplacement par les organisations qui l’invitent. Mais fait-elle également payer ses per diems et les frais de déplacement de son garde du corps, par exemple? Il serait ainsi intéressant de déterminer combien coûte réellement la présidente au Trésor public. Puis tenter, si l’Economic Development Board ou le ministère des Finances ont les chiffres, d’évaluer ce qu’elle a concrètement rapporté au pays jusqu’ici.

Si l’efficacité de la mission que s’est donnée la présidente est discutable, ses erreurs de jugement, qu’on peut parfois requalifier en fautes, sont eux, difficilement excusables. Naïve ou insuffisamment méfiante, la présidente a fait preuve d’une incroyable imprudence en ne faisant pas vérifier la réputation et le «track record» de Sobrinho. Avec qui elle a tissé des liens étroits à travers les organisations du milliardaire angolais. Puis, il y a cette carte de crédit.

La présidente ne semble plus questionner la véracité du relevé des achats qu’elle a effectués avec celle-ci. Selon SAJ – et c’est également notre information –, Ameenah Gurib-Fakim a remboursé les montants dus sur la carte de crédit à partir de ses propres ressources. Mais là n’est pas le problème. De même, peu importe si elle a des goûts de luxe.

Plus fondamentalement, notre chef de l’Etat aurait dû refuser d’utiliser une carte émise au nom d’une organisation privée. Quitte à se prévaloir du privilège de se faire rembourser les frais encourus dans ses fonctions de membre du directoire de PEI, notamment lors de ses déplacements à l’étranger. Certes, en acceptant d’utiliser la carte, Ameenah Gurib-Fakim n’a pas commis un acte illégal. Mais elle a très certainement commis une faute morale.

Le parrain politique de la présidente – Ivan Collendavelloo – ne l’entend toutefois pas ainsi. Car le même honourable Deputy Prime minister, qui avait démissionné par principe comme député en 1989 – après avoir signé la demande de passeport du controversé patron de Sun International –, invoque aujourd’hui cyniquement un argument juridique tout trouvé pour défendre sa protégée : le secret bancaire. Habitué de la défense des proches de son parti et du pouvoir, Collendavelloo semble toutefois bien seul sur ce coup.

En disgrâce depuis la diffusion de ses propos lors d’une réunion alors qu’il était ministre du Logement et des Terres, l’inénarrable Showkutally Soodhun a fait un retour en fanfare ce vendredi. Avec le sens de la petite phrase qu’on lui connaît, il a asséné : président ou pas, «ou fane, ou peye». Idée que Pravind Jugnauth a relayée dès le lendemain dans un langage plus diplomatique.

Conséquence : on a aujourd’hui une présidente déconnectée des Mauriciens. Prisonnière d’un faux pas majeur. Lâchée par une bonne partie de la majorité gouvernementale. Mais tout à fait susceptible de rester en place. Car d’une part, elle estime n’avoir rien fait de répréhensible. Et d’autre part, parce que la procédure de destitution du chef de l’Etat est aussi humiliante pour ceux qui l’ont soutenu que lourde à mettre en œuvre par ses détracteurs.

Que reste-t-il donc ? Espérer un sursaut de la Présidente, qui soumettrait sa démission? Il y a peu de chances que cela se produise. Préparons-nous donc à composer avec Ameenah Gurib-Fakim… un homme politique comme les autres.

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