La victoire de Pravind Jugnauth était prévisible. La déroute personnelle de Navin Ramgoolam également. Nous avions clairement évoqué les deux possibilités, il y a plus d’un mois. Ceux qui s’entêtent à invoquer mille raisons – y compris de dangereuses théories du complot sur un prétendu déraillement orchestré du processus électoral – empêchent le pays de retrouver la sérénité qu’il mérite après une campagne aussi intense que brutale dans le verbe.

Que les uns soient mauvais perdants et recourent à toutes sortes d’explications pour justifier leur incapacité à rallier le soutien dans les urnes est compréhensible. Mais que d’autres s’en prennent à une section de la population au nom d’une prétendue bien-pensance est irresponsable. Car leur propos frise parfois le racisme. Surtout quand l’argumentaire est utilisé jusque par des journalistes chevronnés dont la parole porte loin. Il faut remettre à leur place ceux qui ne comprennent pas, finalement, le fonctionnement du hindu belt.

La notion du hindu belt demande, lui-même à être expliqué. L’expression est utilisée pour décrire une ceinture de 9 circonscriptions allant de Pamplemousses/Triolet (no 5) à Rivière-des-Anguilles/Souillac (no 13) où la population hindoue (hindi-speaking) est en majorité absolue ou relative. Certains incluent Port-Louis Nord/Montagne-Longue (no 4) ainsi que Savanne-Rivière-Noire (no 14) dans cette ceinture, même si agglomérées, les composantes population générale et musulmane y représentent une majorité d’électeurs.

Au fil des élections, ce greater hindu belt de 11 circonscriptions a produit des résultats d’une grande cohérence – largement en faveur des alliances victorieuse aux législatives. Si on ne tient pas en compte les 60-0 de notre histoire politique, cette ceinture a ainsi engendré 10 3-0 pour les législatives de 1983 ;  9 3-0 en 1987 et 2010 ; 8 3-0 en 1991 et 2014 ; 7 3-0 en 2000 et 2005. Les élections de 1991 et 2000 offrent d’ailleurs un contrepoint intéressant. Car en plein raz-de-marée MSM/MMM, une poignée de circonscriptions du hindu belt avaient permis au Parti travailliste (PTr) de kas piso.

Pour les scrutins de ce 7 novembre, le greater hindu belt  a fourni 8 3-0. Conduisant de nombreux Mauriciens à célébrer une sorte de tribu de Gaulois sorti d’un album d’Astérix et constituée des circonscriptions 1,2,3,15,18,19 et 20. Des circonscriptions soudain considérées comme plus éclairées que d’autres car peuplées d’individus intelligents dédaignant le vote ethnique.

Dans la foulée, on a aussi vilipendé le vote idiot d’une partie spécifique de la population. En oubliant que cette ceinture de circonscriptions n’est pas constituée uniquement d’hindous et que le comportement électoral qui y est observé ne reflète pas directement un vote ethnique simple. Pour preuve : les 3-0 des numéros 4 ou 14 indiquent que le «vot blok» a été utilisé par toutes les composantes de l’électorat.

De même, l’idée que le PTr mobilise à lui seul une importante partie de l’électorat musulman – à travers le pays – a volé en éclats à Montagne-Blanche/Grande-Rivière-Sud-Est (no 10). Où les 638 votes qui ont permis à Sunil Bholah de terrasser Navin Ramgoolam et à Zahid Nazurally de terminé en deuxième position sont aussi venus de la communauté musulmane représentant près de 20% de l’électorat du no 10. Le greater hindu belt n’est pas uniquement constitué d’électeurs hindous qui votent pour d’autres hindous. Car cela rendrait alors incompréhensibles plusieurs 3-0 de ces législatives où des non-hindous ou non hindi-speaking ont été élus dans des circonscriptions où la communauté majoritaire seule déciderait de l’issue du vote.

Dans la pratique, le greater hindu belt récompense deux traits : la respectabilité et la prévisibilité. Dans ces élections, ces deux facteurs ont joué en faveur de Pravind Jugnauth depuis le début. Face à un Navin Ramgoolam décrit, avec raison, comme un dilettante volage et impénitent, on a opposé un Pravind Jugnauth à l’image d’homme de famille lisse et sain.

De même on a privilégié le «un tiens» d’un leader du MSM qui a cumulé quelques réussites notables – du salaire minimum au Metro Express – durant son mandat, aux «deux tu l’auras» de Ramgoolam dont les promesses post-électorales ont paru lointaines et incertaines à des dizaines de milliers de Mauriciens. Qui avait instinctivement l’impression que les chances de Pravind Jugnauth étaient meilleures.

Oui, la défaite de Ramgoolam était prévisible. Oui, les électeurs du greater hindu belt ont donc clairement choisi leur camp. Ils ont certainement adopté un comportement opportuniste…mais leur choix était-il pour autant bête ? Les cinq prochaines années nous le diront…

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