C’était devenu intenable. Notamment après une prise de position d’une autorité morale comme le cardinal Piat. Pravind Jugnauth ne pouvait que virer «l’esclave» malgré ses bons et loyaux services à la famille et surtout au père. L’épisode Soodhun permet de mesurer à quel point le cadre dans lequel s’exerce la parole politique – ou plutôt la parole des politiques – a été bouleversé.

Dans le passé, quelques écarts de langage publics ont été suivis de punitions et rappels à l’ordre musclés. Quand Deva Virahsawmy a qualifié Paul Bérenger de «lera blan» lors d’un rassemblement politique en 2000, son leader n’a eu d’autre choix que de le priver d’investiture. Plus récemment Ravi Rutnah et Mahmad Kodabaccus ont été soumis à la vindicte populaire pour des propos choquants tenus en public. Or, le schéma change.

Les hommes politiques ne doivent plus seulement s’inquiéter de ce qu’ils disent et de l’image qu’ils projettent quand ils sont en face d’un auditoire et à la portée des micros et caméras des journalistes. Le cas Soodhun et, avant lui, ceux de Kalyan Tarolah et Raj Dayal, démontrent à quel point la parole et les actes de nos hommes politiques peuvent finir par être retenus contre eux. Car dans leur vie professionnelle quotidienne et même jusque dans leurs interactions privées, ils ne sont plus à l’abri des oreilles et des regards indiscrets.

La technologie a tout changé. Il y a dix ans, il fallait un magnétophone assez difficilement dissimulable pour prétendre enregistrer un interlocuteur. Désormais, un téléphone portable fait l’affaire : avec un son haute définition en prime ! Il était quasiment impossible, au début des années 2000, de filmer un homme politique lors d’une réunion à huis clos. Désormais, un smartphone de base délivre une vidéo de bonne qualité. Là où le cryptage des messages et des conversations sur WhatsApp offre une assurance de confidentialité, des captures d’écrans peuvent figer à jamais ce qui a été dit. Tout comme des applications mobiles permettent d’enregistrer un interlocuteur à son insu… aussi bien sur une ligne cellulaire mais également lors d’une conversation WhatsApp.

L’omniprésence de la technologie et le fait qu’elle permet d’intercepter les tranches de vie de ceux qui l’utilisent trouvent ainsi de nouvelles applications, y compris politiques. Les journalistes à qui Xavier Duval a remis la bande de Soodhun ont ainsi probablement été plus responsables que le leader de l’opposition en allant voir le Premier ministre avec la vidéo de 30 minutes. Pourquoi le chef du PMSD a-t-il fait fuiter une vidéo datant de juillet quatre mois plus tard, en pleine campagne électorale et en pleine tentative de rallier une frange spécifique de l’électorat de Belle-Rose/Quatre-Bornes ? Pourquoi pas plus tard ou plus tôt ?

Avec les outils technologiques de base – on ne parle même pas de logiciels espions grand public qu’on peut acheter pour une poignée de dollars –, chacun peut devenir un agent de renseignement émérite. La technologie aidant, les incartades des uns et des autres sont devenues instantanément «enregistrables». Le problème, toutefois, quand on possède ce genre d’outils potentiellement dangereux, c’est l’utilisation qu’on peut en faire.

Il ne doit quasiment pas y avoir de débat quand la technologie sert à démasquer des individus aux comportements inacceptables. On ne voit pas pourquoi une victime de harcèlement sexuel de la part d’un homme public ou une personne ayant connaissance de comportements illégaux d’un politique ne devraient pas utiliser tous les moyens technologiques à leur disposition pour les confondre. Mais la ligne entre dénonciation justifiée, règlements de comptes et coups montés peut être ténue.

Par exemple, que faire de cette bande où l’on entend un député de la majorité insulter copieusement deux ministres ? Mais également démontrer quel odieux goujat il est : vu le langage qu’il utilise avec sa maîtresse. Est-ce que cette bande a vocation à être diffusée ? Est-il d’intérêt public qu’on le fasse ? Non. Car à aucun moment il n’est question d’activités illégales durant les conversations enregistrées. A peine pourra-t-on froncer les sourcils si ce député s’aventure à discourir sur la morale ou les valeurs familiales au Parlement.

Mais le simple fait que la technologie le permette et que l’homme est un animal qui aime communiquer doit nous conduire à une certitude. Des captures d’écrans de conversations, des enregistrements audio et vidéos de politiques existent. Ceux les ayant en leur possession attendent peut-être le moment opportun pour les faire fuiter. D’autres font probablement chanter leurs interlocuteurs avec ce qu’ils savent ou ce qu’ils ont. Quelques-uns fomentent aussi malheureusement des cabales en ne donnant qu’une version sélective et orientée de leur «vérité».

Orwell n’était pas loin de la réalité. Nous sommes à Maurice, pas à Oceania. Nous sommes en 2017, pas en 1984. Et c’est une multitude de little brothers qui nous regardent et non pas un seul Big Brother.

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