Depuis le 3 avril dernier, on le sait : le comité interministériel sur la réforme électorale, présidé par sir Anerood Jugnauth, ne s’est réuni qu’une fois en 2017. Le ministre mentor semble toutefois sorti de son état de somnolence chronique en ce début d’année. Il aurait déjà eu deux sessions de travail sur les deux grandes réformes. Toutefois, avec SAJ aux commandes, on sait à quoi s’attendre.

Son conservatisme en matière de réforme électorale est connu. Avec un parti quasiment rayé de la carte politique en décembre 1995, il aurait dû mesurer l’importance et la nécessité d’inclure une saine dose de proportionnelle dans notre système First Past The Post (FPTP). Mais revenu au pouvoir en 2000, il avait confié à Emmanuel Leung Shing, son Attorney General, la tâche de calmer les ardeurs réformistes de son partenaire d’alors : le MMM. Frustrant au passage les progressistes sur le sujet, dont un certain Ivan Collendavelloo, jadis député MMM et président du Select Committee on the Introduction of a Measure of Proportional Representation in our Electoral System.

C’est sans surprise que nous apprenons que le projet de réforme électorale que le gouvernement s’enorgueillit de pouvoir présenter à la nation d’ici la fin de l’année est bien décevant sur le fond. Malgré cela, la communication gouvernementale se chargera de présenter les textes comme constituant une avancée démocratique fondamentale. Jugeons plutôt sur pièce. En commençant par la réforme électorale.

Ce que préconise le gouvernement, c’est le maintien de notre FPTP de 62 élus. Auquel on ajoute une dose de proportionnelle de 12 élus, sélectionnés sur les listes des partis et/ou alliances ayant recueilli 12,5% des suffrages sur le plan national. A cela, on rajoute un maximum de 7 best losers (BL) choisis par les leaders chez leurs candidats présentant le profil ethnique adéquat. En sachant que les partis de l’opposition pourront prétendre, au plus, à 3 députés correctifs. Les autres sièges n’étant pas attribués ou alors répartis de manière à maintenir l’écart d’élus entre le vainqueur des élections et le perdant.

Oublions que cette proposition implique que nos lois électorales et notre Constitution maintiendront un critère ethnique pur comme moyen de se faire élire. Ignorons que le Best Loser System (BLS) n’est qu’une sorte de proportionnelle dont l’objectif peut facilement être atteint à travers un nombre adéquat d’élus à la proportionnelle – disons entre 20 et 30.

Feignons aussi de ne pas savoir qu’entre 1967 et 2014, 82% des députés musulmans n’ont pas eu besoin du BLS pour entrer à l’Assemblée nationale. Chez les élus de la population générale, la proportion est de 78%. Car ces chiffres tendent à démontrer qu’une dose de proportionnelle correcte – alliée au réalisme sociologique des leaders politiques – permet d’enlever la notion de communautés de notre Constitution. Tout en préservant l’objectif de représentativité de chacune des composantes de la nation dans notre pratique politique.

Admettons que la réforme électorale corresponde fidèlement au souhait de SAJ. Appliquons donc la formule aux législatives de 2000. Cette année-là, avec 51,5% des suffrages, le tandem MSM-MMM rafle 54 élus au FPTP, contre 6 pour l’alliance PTr-PMXD, qui recueille 36,7% des votes. Un écart de 48 sièges sépare les deux camps. Avec la dose de proportionnelle parallèle proposée par le comité SAJ, l’alliance perdante obtient 5 députés supplémentaires (36,7% de 12 pour faire simple) ; les 7 autres allant aux vainqueurs. Le nouveau total d’élus est désormais de 61 contre 11, soit un écart de 50 sièges. Le BLS administré par les leaders politiques peut entrer en jeu pour réduire l’écart, le perdant obtient 3 élus additionnels, portant l’effectif de l’opposition à 14. Afin de maintenir l’écart de sièges initial de 48 élus, l’alliance victorieuse obtient un député supplémentaire et se constitue une majorité parlementaire de 62 députés. Soit près de 80% des 78 élus de l’Assemblée nationale – en incluant les deux de Rodrigues.

Cette formule, loin de refléter plus fidèlement le poids électoral de l’opposition au Parlement, a plutôt pour objectif de préserver de manière mécanique la majorité de camp des vainqueurs. La logique est tout à fait saine si l’élection est disputée comme en 1983, 1987 ou 2005. Mais cette méthode semble injuste quand elle permet à une alliance ayant à peine obtenue une majorité absolue – comme les 51,5% de 2000 – de disposer d’une majorité de plus de 80% d’élus. Lui permettant de modifier à sa guise, et sans entraves ni résistance, la Constitution.

Poursuivons l’analyse : cette fois-ci du volet financement politique. A ce chapitre, si les propositions du comité ministériel semblent passables de prime abord, une revue des détails révèle de sérieuses lacunes. Commençons par la plus criarde. Tout système de contrôle du financement politique repose sur la présence d’un pitbull menaçant. Or, la proposition actuelle ne confie pas suffisamment de pouvoir et de moyens à l’Electoral Supervisory Commission et au Commissaire électoral pour qu’ils se comportent, par exemple, comme leurs homologues indiens. A quoi servent donc les règles si on ne peut pas les mettre en œuvre efficacement ?

A cet oubli de taille, il faut ajouter d’autres incongruités. Le rapport du Select Committee, présidé par Emmanuel Leung Shing en 2004, préconisait de faire grimper le plafond des dépenses par trio de candidats par circonscription de Rs 450 000 à Rs 1 million. Quatorze ans plus tard, le comité SAJ propose le même chiffre ! Le plus étonnant, c’est que comme auparavant, ce projet de loi en devenir s’arrange pour ne pas définir de limite de dépenses nationales par parti ou alliance. De sorte que les candidats peuvent rester dans leur limite tandis que leurs maisons-mères claquent Rs 500 millions sur le plan national en toute impunité. C’est d’ailleurs ce qu’avait déploré le rapport Sachs de 2002.

A l’inverse – et étonnamment –, si le rapport Leung Shing estimait qu’il serait «in the superior interest of the country to ban political funding from foreigners altogether, including private individuals», SAJ semble ne jurer que par son pragmatisme proverbial. Si le principe général est que les dons des «foreign sources» sont prohibés, les contributions individuelles d’étrangers, à hauteur de Rs 1 million par an [même pas USD 30 000 !], sont tout à fait bienvenus. On imagine déjà une myriade d’hommes d’affaires d’ailleurs montrant leur gratitude à nos dirigeants politiques à la veille des prochaines élections. Voire à période fixe, chaque année. Merci qui ? Merci SAJ !

Merci Paul Bérenger peut-être aussi. Car avec ses 45 députés – en comptant les deux élus de l’OPR –, Pravind Jugnauth ne dispose pas des 52 votes nécessaires pour amender la Constitution et nos lois électorales. Or, les 7 députés du MMM constituent l’appoint salutaire. Le patron des mauves résiste d’habitude difficilement aux mots-phéromones «réforme électorale». D’ailleurs, il était déjà prêt à en discuter avec SAJ depuis octobre 2015. L’enthousiasme légendaire de Bérenger le conduit même à discuter alliance pendant qu’il peaufine les réformes électorales. C’est peut-être ce qu’il se passera dans un avenir pas si lointain quand le patron du MMM redécouvrira qu’il est sur la même longueur d’onde que le MSM en matière de réforme. Paul Bérenger devra alors éviter de nous convaincre sur une chose. Il tiendra peut-être une «bonne» alliance. Mais pas «une bonne réforme électorale».

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