Il a fallu qu’une réunion du Joint Working Group Inde-Maurice soit annulée à la dernière minute pour que les langues se délient. Et que l’on comprenne que la fraternité jadis célébrée a été sacrifiée sur l’autel du réalisme stratégico-financier.

Ce n’est pas tous les jours, en effet, qu’on apprend de la bouche du Premier ministre mauricien qu’il a dit ses quatre vérités à un responsable politique indien. En l’occurrence Palaniappan Chidambaram, ministre des Finances de la Grande péninsule. La vérité est simple : la bonne volonté est devenue une qualité rare chez les Indiens dès qu’on évoque le traité de non-double imposition liant nos deux pays. De concert avec Navin Ramgoolam, d’importants acteurs du secteur financier mauricien n’hésitent donc plus à dénoncer le double langage, l’acharnement, voire l’hypocrisie de notre partenaire.

Ce réveil est salutaire. Le pays s’est trop longtemps laissé aller à la complaisance envers Mother India. Rangeant systématiquement nos relations dans le registre affectif. Il convient désormais d’y voir plus clair. De comprendre pourquoi, en 2014, la République de Maurice ne doit pas grand-chose à l’Inde. L’inverse – il faut se l’avouer – est également vrai !

Pour relativiser, commençons par parler d’économie. Si l’Inde a injecté Rs 396 millions à Maurice de janvier 2011 à juin 2013, durant les seuls six premiers mois de l’année écoulée, la Chine a directement investi Rs 865 millions dans notre économie et l’Afrique du Sud Rs 725 millions.

Au chapitre commercial, durant les trois premiers trimestres de l’an passé, le quart des importations du pays (Rs 29,5 milliards) est venu de la Grande péninsule. Révélant une relation commerciale lourdement déséquilibrée en faveur de notre partenaire. Puis que de janvier à septembre 2013, nous n’avons exporté que Rs 402 millions de Made in Mauritius vers notre voisin.

Poursuivons en parlant de géostratégie. En conflit avec les Américains et les Britanniques au sujet de la souveraineté sur Diego Garcia, le petit poucet mauricien est devenu l’allié de circonstance de l’Inde dans l’océan Indien. Si l’axe Washington-Londres dispose de Diego Garcia, les Chinois pourraient, eux, bientôt trouver un pied-à-terre aux Seychelles. Tandis que les Français ont la Réunion et Mayotte comme points de rayonnement sur toute la zone.

Selon la presse indienne, la Grande péninsule a bien tenté de convaincre Maurice de lui céder Agaléga. Mais la perspective d’être confronté à un slogan du type « Papa finn vann Diego, piti pe vann Agaléga » a refroidi bien des ardeurs – si tant est qu’elles aient existé. Si notre gouvernement a nié toute intention de céder cette partie de notre territoire, l’Inde a entre-temps largement su prendre avantage du droit de passage de ses navires militaires dans nos eaux territoriales.

Ainsi, les relevés bathymétriques effectués au fil des années dans nos eaux auront non seulement servi à gérer nos côtes et ressources halieutiques mais également à baliser les corridors de passage pour sous-marins nucléaires indiens. Dont le dernier, l’INS Arihant, effectue en ce moment même des exercices dans la zone.

Commercialement et économiquement, Maurice est insignifiant pour l’Inde. Stratégiquement, notre pays aurait néanmoins pu continuer à compter si, par exemple, la Chine avait maintenu son ambitieux plan de développement dans l’île et sa stratégie de l’utiliser comme tremplin vers l’Afrique. Mais le projet JinFei est bien mort. Le rêve de s’approprier Agaléga, aussi.

Reste ce secteur offshore mauricien qui, malgré son personnel compétent, son cadre légal jugé solide par l’OCDE et ses gages de bonne volonté, demeure un mouton noir… parce que l’administration indienne en a décidé ainsi. Après tout, il n’y a rien que Maurice n’offre dans le domaine que Singapour ne saurait égaler, voire surpasser.

Si on ajoute à cela, la relation historiquement et économiquement très solide de l’Inde avec Singapour. Ainsi que la propension de ce micro-Etat à rentrer dans des relations « government to government » défiant toute concurrence, le Chota Bhai (petit frère) doit bien se rendre à l’évidence : une page est tournée.

Reste plus qu’à se souvenir du bon vieux temps sur des airs de chansons de films indiens. Une d’entre elles, très connue dans les années 60, avait pour titre « Dost Dost Na Raha » .Ce qui signifie : « notre amitié n’est plus » en hindi.

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