« The rule of law does not require that official or judicial decision-makers should be deprived of all discretion, but it does require that no discretion should be unconstrained so as to be potentially arbitrary. No discretion may be legally unfettered. » – Tom Bingham dans The Rule of Law.

La lecture du livre de l’ancien Lord Chief Justice britannique Bingham peut nourrir l’argumentaire de ceux qui défendront le nouvel amendement à la Constitution par l’Alliance Lepep. Après le droit de la propriété lors du vote du Good Governance and Integrity Reporting Act de fin 2015 ; la liberté de mouvement pour mettre en œuvre les amendements à la Prevention of Terrorism Act ce décembre ; le gouvernement s’apprête à amender une nouvelle fois la loi suprême du pays dans les mois à venir. Cette fois-ci, pour modifier la manière dont les poursuites pénales sont initiées [ou pas] dans la république.

Depuis le milieu de la semaine dernière, le monde très feutré du Parquet bruissait déjà au sujet d’un « développement majeur ». Ce n’est que ce weekend qu’on a appris la nouvelle de la mise en place d’une Prosecution Commission rendant caduque le privilège du Directeur des poursuites publiques (DPP) d’opérer sans être soumis à « the direction or control of any other person or authority ».

Examinons le principe de subordonner l’action du DPP à un second regard – collectif celui-là. Personne ne peut contester le fait qu’en pratique, l’idée est bonne. Surtout si la réévaluation est effectuée par un panel d’experts juridiques dont la compétence n’a d’égale que son indépendance. Après tout, c’est bien sur la base de ce principe que les cours d’appel ou les review panels administratifs existent. De plus, nous ne sommes pas en présence d’une aberrante invention locale. D’autres pays du Commonwealth – l’Australie ou le Canada, par exemple – subordonnent leurs DPP à l’autorité directe d’une figure politique, l’Attorney General, ou d’une sorte de directoire.

Revenons à nos spécificités. La presse, la personnalité du titulaire du poste et l’attitude des politiques envers le DPP ont contribué à confondre un homme – Satyajit Boolell – avec la fonction qu’il occupe ainsi que l’institution qu’il dirige. Ainsi, par « décision du DPP », le Mauricien moyen comprend presque invariablement « décision de Satyajit Boolell ». C’est une vision étriquée de la réalité.

Loin de concentrer tous les pouvoirs de décision sur sa propre personne, le DPP s’appuie sur une soixantaine de collaborateurs : tous juristes. Lorsqu’il faut trancher des dossiers complexes ou sensibles, deux, voire trois équipes du bureau travaillent en parallèle. Pour ensuite confronter leurs opinions juridiques afin de décider s’il y a matière à poursuite ou pas. C’est en se basant sur leurs conclusions que le DPP décide alors de la marche à suivre.

Toutefois, nous sommes à Maurice. Et le DPP se trouve être le frère d’Arvin Boolell, cadre du Parti travailliste. L’homme a aussi son caractère, bien trempé. Qui conduit Ivan Collendavelloo – juriste de carrière et ministre – à brandir une thèse sur « l’ADN social » du DPP pour expliquer son comportement. Tandis que Roshi Bhadain constate que Boolell est un « monstre » constitutionnel.

Le « monstre » a ainsi fait l’objet de toutes les attentions. D’abord, son administration est passée sous la tutelle de l’Attorney General. Ensuite, c’est son intégrité qui a été questionnée à travers l’affaire Sun Tan Hotels. Enfin, après 10 accusations provisoires rayées contre Navin Ramgoolam, la « motivation » de Boolell est ouvertement évoquée. Pris dans un « jeu de pile je perds, face tu gagnes », Satyajit Boolell justifie même sa décision de ne pas poursuivre Veekram Bhunjun dans l’affaire Betamax. Son long texte, que d’aucuns décrivent comme un « ruling», achève de convaincre ceux qui n’avaient pas besoin de l’être, que le DPP pratique un jeu trouble.

Aveuglés par leur envie d’en découdre, les opposants les plus farouches de Boolell refusent bien évidemment de voir à quel point certaines enquêtes de la police ont été bâclées sur les conseils de piètres experts. Comment, aussi, elles ont souvent démarré en quatrième vitesse avec la seule obsession d’organiser des arrestations médiatisées afin de promouvoir l’image d’un gouvernement qui « means business ».

Les procureurs de l’ombre omettent aussi de reconnaître qu’en bien des occasions, les enquêteurs de la police se sont couverts de ridicule devant les magistrats. Etant incapables de démontrer une réelle maîtrise de leurs dossiers et ainsi augurer que les accusations qu’ils portent ont de réelles chances d’aboutir à des condamnations.

Ceci étant dit, il faut préciser que la Prosecution Commission n’est qu’au stade de projet. La proposition d’amendement constitutionnel doit encore être circulée. L’opinion de Paul Bérenger, qui n’a pas manqué d’égratigner Boolell dans le passé, n’est pas encore connue. Ni celle des députés, tous bords confondus, qui ne jurent que par l’indépendance des institutions. Tout le monde – y compris les membres de la Mauritius Bar Association – aura le temps de faire entendre son opinion durant les mois à venir. Car si changement constitutionnel il y a, le Parlement n’examinera pas le texte avant la prochaine rentrée parlementaires prévue en mars.

D’ici là, chacun des 52 députés de l’Assemblée nationale devant impérativement voter pour ce changement jaugera les intentions derrière cette « évolution ». Afin, notamment, de déterminer s’il est motivé par le besoin d’épauler le DPP et d’améliorer l’administration de la justice. Ou, tout au contraire, de le mettre sous tutelle, de sorte qu’il prenne les décisions susceptibles de satisfaire ceux qui, il n’y a pas si longtemps, accusaient l’ICAC de « get figir ».

A la Commission anticorruption, la solution a été trouvée. Luchmyparsad Aujayeb a été remplacé en douceur par l’ultra compétent et expérimenté Navin Beekarry. Boolell, lui, ne montre toutefois aucune volonté de déguerpir pour être remplacé par un autre ultra compétent. L’Alliance Lepep, dans sa grande sagesse, et inspirée par d’éminents juristes, songe donc à le flanquer d’un baby-sitter constitutionnel.

La lecture du manifeste électoral de l’Alliance Lepep permet de conclure que les partis au pouvoir n’avaient pas explicité leur intention de changer la manière dont les poursuites sont entamées et administrées à Maurice. Il semble toutefois que cette question soit désormais en haut de l’agenda. Après tout, la loi de la majorité n’est-elle pas la nouvelle rule of law

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