Plusieurs responsables politiques ont abordé la question durant la semaine écoulée. Réagissant à ce qui a été publié sur la réforme électorale dans Week-End et sur ION News, chacun a eu son mot à dire. Au gouvernement, personne n’a jugé bon de démentir ce qui a été publié ou alors de préciser qu’étant du work in progress, la version rapportée a vocation à être peaufinée et améliorée. Sir Anerood Jugnauth a seulement fait savoir que la question ne sera discutée en public que quand le projet de loi aura été examiné par le Conseil des ministres.

C’est une bien mauvaise attitude. Car un changement fondamental dans nos règles électorales n’est pas que l’affaire du gouvernement. Ni l’opposition et encore moins les citoyens n’ont vocation à se retrouver devant un fait accompli à être présenté au Parlement. Il faudra bien un peu de flexibilité.

Avec ses 45 députés, la majorité gouvernementale a besoin d’au moins 7 soutiens dans l’opposition pour amender le First Schedule de la Constitution. Face à cette perspective de collaboration forcée, chacun fait entendre sa position et ses objections. Mais au-delà des postures – tactiques ou clientélistes –, c’est la philosophie même de ce que propose le duo MSM-Muvman Liberater (ML) qui pose problème.

La couleur avait été clairement annoncée dans le manifeste électoral de l’Alliance Lepep : «Une réforme électorale sera adoptée en tenant compte des impératifs de stabilité pour gouverner.» Certes, un gouvernement élu avec une majorité absolue des suffrages doit pouvoir disposer d’une situation numérique adéquate au Parlement. Toutefois, dans sa finalité, la réforme MSM-ML semble en faire une priorité absolue. Cosmétique, cette approche donne l’illusion que des nouveaux 60-0 ou 56-4 permettront malgré tout à l’opposition d’avoir une voix plus audible au Parlement. Ce n’est pas nécessairement le cas.

La semaine dernière, nous prenions l’exemple des législatives de 2000. Afin d’expliquer comment, en appliquant la formule proposée, le résultat First Past the Post (FPTP) de 54-6 allait aboutir à une majorité de 62 députés pour le vainqueur des élections. Soit presque 80% d’une Assemblée nationale de 78 élus. Élue avec «seulement» 51,5% d’adhésion dans les urnes, l’alliance MSM-MMM de 2000 était constituée de 58 membres. Soit 82% des effectifs du Parlement.

C’est le statu quo que recherche le gouvernement et il l’obtient. Car les nouvelles règles proposées n’améliorent que marginalement la représentativité de l’opposition. Le tandem PTr-PMXD formait 11,5% de l’Assemblée nationale en 2000. La formule MSM-ML permettrait à cette alliance de constituer 18% des effectifs du Parlement en ayant pourtant capté 36,7% des suffrages.

C’est à se demander si, au final, la seule conséquence concrète du passage d’un maximum de 70 élus à un nouveau plafond de 81 n’est pas de plomber inutilement les finances de l’Etat. Qui devra payer la pension d’un nombre encore plus important de députés «retraités» à l’avenir.

Dans un passé récent, l’Alliance Lepep précisait en novembre 2014: «Une dose de proportionnelle sera introduite ; le seuil d’éligibilité pour les sièges proportionnels sera 5% des votes nationaux recueillis…» Ce choix de «ticket d’entrée» très bas faisait fi des craintes exprimées sur un seuil faible pouvant favoriser l’émergence de partis sectaires. Il est vrai, toutefois, que ce type de seuil permet aux mouvements politiques hors du mainstream d’espérer envoyer des élus au Parlement

Or, en choisissant un seuil de 12,5% de suffrages pour être éligible à des élus à la proportionnelle, le gouvernement ferme le jeu politique. Forçant d’une part l’électorat à subir les partis installés, voire à toujours les encourager à s’allier afin de fédérer les suffrages. D’autre part, au lieu d’encourager l’essor de nouveaux partis, cette réforme les étouffe. Condamnant les mouvements alternatifs – aussi prometteurs soient-ils – à devoir croire en un miracle électoral. En 2014, Jack Bizlall avait réussi à obtenir 11,53 % des votes à Beau-Bassin/Petite-Rivière. Il faudra que son mouvement fasse mieux au niveau national pour qu’il prétende envoyer ne serait-ce qu’un député au Parlement.

Le taux d’éligibilité à la proportionnelle n’est pas le seul os. Il y en a un deuxième tout aussi gros : le Best Loser System (BLS). Depuis quelques années, seul le PTr semble s’accorder à dire que la bonne dose de proportionnelle assure de facto une représentation ethnique diversifiée et juste. De sorte que le BLS, pour reprendre la formule utilisée depuis le rapport Sachs, a vocation à être «subsumed» dans la dose de proportionnelle. Le Remake a plus ou moins tenu le même discours à un moment.

Mais les partis comme le PMSD, désespérément accrochés à leur clientèle électorale, veulent absolument préserver le BLS. Xavier Duval justifie sa position en perpétuant un mythe : celui qui veut que c’est ce système qui «ramène un petit pourcentage d’équilibre». C’est discutable. Car au fil des élections, environ 8 élus musulmans et de la population générale sur 10 se sont fait directement élire par le FPTP [voir le tableau ici]. Le BLS était un élément rassurant durant les années pré et post indépendance. Depuis, il est devenu un placebo électoral.

Oublions l’incongruité de se baser sur des statistiques vieilles de 46 ans pour choisir les best losers, pour rappeler le cynisme que le BLS entretient aussi chez les dirigeants d’alliance. Qui choisissent d’aligner des profils précis à certains endroits, non pas pour gagner la bataille électorale… mais pour la perdre le plus honorablement afin de se faire repêcher par le BLS.

Si de nombreuses justifications existent pour se défaire de ce système, la solution de rechange que propose le gouvernement est aussi inadéquate que dangereuse. Car d’une part, il fait coexister la dose de proportionnelle et une autre pseudo-proportionnelle. Et d’autre part, il érige les leaders politiques en pseudo Electoral Supervisory Commission ayant pour vocation de choisir leurs best losers.

C’est une proposition dangereuse car trop dépendante du choix arbitraire des chefs politiques. Qui pourront demain avoir entre leurs mains une arme pour punir telle composante n’ayant pas soutenu leurs partis ou alors récompenser telle ethnie pour son bon et loyal soutien dans les urnes en lui confiant davantage d’élus repêchés.

«Better the devil you know», dit l’adage. On serait presque tenté d’y souscrire, vu le caractère inadéquat de ce que propose le gouvernement propose. C’est à se demander si ce n’est pas là l’objectif du tandem MSM-ML. Proposer une solution inadmissible pour mieux faire accepter le strict minimum, à la manière de l’amendement «shall-may» de 2014. Ce serait dommage, car la nation mérite une vraie réforme.

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