Deus ex machina : Personnage ou événement inattendu venant opportunément dénouer une situation dramatique.

N’est pas Showkutally Soodhun qui veut. Plaider pour une rallonge d’un milliard de roupies auprès d’un Sheikh arabe – dans un numéro d’improvisation défiant les règles du protocole – n’est pas le style de Pravind Jugnauth. Le Premier ministre n’a donc pas sorti un lapin de son chapeau, ce samedi, en annonçant la possibilité d’une aide indienne pour le remboursement des clients du groupe BAI. Sa déclaration est lourde de sens et mérite qu’on s’y intéresse.

Cette semaine, le Premier ministre saisira l’occasion de sa rencontre avec son homologue Narendra Modi à Delhi « pou fer enn reket pou kapav gagn enn sertin finansman ». De toute évidence, des discussions préliminaires à ce sujet ont déjà eu lieu. Si Pravind Jugnauth a évoqué publiquement cette possibilité, c’est parce que l’Inde a déjà laissé entendre qu’elle pourrait consentir, au moins partiellement, à la requête du chef du gouvernement.

On nous rabâche à longueur de journée le lien « très spécial » qui unit les deux pays. Or, le fait que l’Inde envisage de soutenir Maurice sur le dossier BAI est exceptionnel. Tant cela défie la logique habituelle des aides internationales. En effet, dans l’immense majorité des cas, les pays amis consentent à fournir des fonds dans le seul but de mettre en œuvre des projets de développement ou dans le cadre de programmes de renforcement des capacités. L’éventuel coup de pouce de l’Inde sur le dossier BAI s’apparente, lui, au prêt que consent quelqu’un à un camarade qui connaît une fin de mois difficile.

Il ne faut pas minimiser cette exception à la règle habituelle. Car aussi bien pour les lignes de crédit que pour les grants, les modèles financiers des projets [de développement] soutenus font l’objet de discussions et d’examens approfondis. Obtenir de l’argent indien pour le canaliser ensuite vers le remboursement des milliers de clients de la BAI n’obéit en rien au processus habituel d’évaluation et de validation qu’utilisent les redoutables techniciens indiens. Cette générosité pourrait même leur jouer des tours.

Si les relations entre nos deux pays sont « extra special », ce n’est pas vers Maurice que l’essentiel de l’aide indienne est dirigée. Réunis, le Bhutan, l’Afghanistan, le Sri Lanka ou le Népal reçoivent des milliards de dollars de soutien de Delhi. Le précédent créé par Maurice pourrait conduire ces pays à formuler, eux aussi, des requêtes « exceptionnelles » au gouvernement indien. Qui sera alors bien gêné d’expliquer pourquoi la dérogation applicable à Maurice ne l’est pas pour d’autres Etats.

De dérogation, il sera aussi question à Maurice. Sudhir Seesunkur a expliqué que le remboursement complet des clients Super Cash Back Gold et de Bramer Asset Management nécessitera Rs 9 milliards. Depuis la fin de la semaine dernière, le ministre des Services financiers et le Premier ministre laissent entendre que les clients jusqu’ici exclus du remboursement – notamment ceux ayant investi à travers des sociétés coopératives – pourront être repêchés. Ce qui portera la somme totale à être mobilisée à plus de Rs 10 milliards.

Alors ? Pravind Jugnauth réussira-t-il la prouesse de lever Rs 10 milliards de dons ou de ligne de crédit lors de sa visite en Inde ? La tâche est compliquée. Négocier un emprunt de Rs 10 milliards, voire même de Rs 2 milliards semble exclu pour le ministre des Finances. S’il fait cela, il alourdira de manière inacceptable la dette publique. Ce qui l’obligera à amender la Public Debt Management Act de 2008. Afin de dispenser son gouvernement de respecter l’objectif fixé d’une dette publique à 50% du Produit intérieur brut au 31 décembre 2018.

Reste l’option idéale d’un don intégral indien. Le passé récent nous mène à penser que ce n’est pas dans le champ du possible. En effet, après la renégociation du traité fiscal Inde-Maurice en 2016, l’Inde a consenti à un don global de Rs 12,7 milliards. On voit mal Narendra Modi et son ministre des Finances aller justifier devant le Lok Sabha un don additionnel de Rs 10 milliards au petit frère mauricien.

Dans le meilleur des cas, donc, l’Inde n’offrira qu’une partie de la somme que cherche à lever Pravind Jugnauth. A charge, pour ce dernier, de liquider la National Insurance Company ou une Maubank endettée pour dégager suffisamment de ressources financières additionnelles permettant un full and final settlement représentant peut-être 75% ou 80% du capital placé par les clients de la BAI.

Tout cela est bien beau. On voit déjà la machine de com’ de Pravind Jugnauth fonctionner à plein régime pour vanter ses talents de négociateur hors pair. Cependant, toute négociation implique une contrepartie. Si l’Inde consent à offrir des milliards pour que Maurice construise son Metro Express, c’est un constructeur de la Grande Péninsule – Larsen & Toubro ou Afcons – qui raflera le contrat de construction. De même, il est impensable que le coup de pouce pour la BAI vienne sans contrepartie.

La Maubank sera-t-elle rachetée par une banque indienne ? La NIC finira-t-elle dans l’escarcelle d’un géant de l’assurance du sous-continent qui aura la certitude d’assurer tous nos corps paraétatiques et entreprises d’Etat ? Ou est-ce un autre arrangement auquel le Premier ministre consentira en échange du soutien du gouvernement de Modi ?

Pravind Jugnauth devra assurer la transparence sur le prix que la nation aura à payer pour tourner la page du remboursement des clients de la BAI. Puisque les bons comptes font les bons amis, sortons les ardoises pour connaître le solde…

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