La nation doit dire merci à sir Anerood Jugnauth. Le Premier ministre avait tiré plusieurs coups de semonce durant la campagne électorale. Laissant entendre que Navin Ramgoolam allait devoir répondre de ses excès devant la justice. Personne n’avait vraiment cru que l’avertissement allait être mis à exécution de cette manière. Depuis le vendredi 6 février, il a été rappelé une nouvelle fois au pays que, comme à son habitude, sir Anerood Jugnauth ne bluffe pas.

Et si Navin Ramgoolam ne bluffait pas non plus ? Depuis son arrestation, son sourire – d’autres diront son arrogance – indispose les uns et intrigue les autres. Ce samedi, on a un peu mieux compris pourquoi le millionnaire le plus honni du pays ne se départit plus de son sourire et de sa confiance. L’ancien Premier ministre l’affirme : il n’a jamais touché de commissions. Laissant ensuite entendre qu’il détient probablement quelques secrets accablants pour ses adversaires.

Certes, on ne se serait pas attendu à ce que Ramgoolam joue la victime. Il ne trouverait que peu de personnes pour s’apitoyer sur son sort. De toute manière, pour devenir un apex prédateur (politique), une personne comme lui a dû apprendre à se maîtriser. Ne pas montrer sa peur ou son inquiétude en public fait partie des facultés durement acquises par les dirigeants politiques de premier plan. Sa confiance peut-elle provenir du fait, comme l’affirment ses proches, qu’il prétend justifier la provenance de chaque sou des Rs 220 millions saisies dans ses coffres et valises ? Ce qui serait, admettons-le, une prouesse confinant au miracle.

Plus prosaïquement, se pourrait-il que la confiance affichée par Navin Ramgoolam se base sur des considérations plus pratiques ? Sans remettre en doute la compétence du sympathique assistant Commissaire de police Heman Jangi et de son équipe, l’enquête dont fait l’objet Navin Ramgoolam est d’une grande complexité. De part les sommes en jeu, la diversité des éléments de preuve recueillis et la nature variée des pistes financières à remonter. Involontairement ou à « l’insu de leur plein gré », les enquêteurs pourraient laisser passer un vice de procédure qui s’avérera fatal à l’instruction et salvateur pour Ramgoolam en Cour.

Pour l’intérêt de notre pays et de son avenir politique, il faut espérer que le travail de la police soit sans faille. Afin que Navin Ramgoolam soit poussé dans ses derniers retranchements durant son audition par la police et devant la justice. Pour une bonne et simple raison : l’ancien Premier ministre pourrait bien précipiter une apocalypse politique que le pays mérite amplement.

Le pacte des loups qui prévalait jusqu’ici entre les dirigeants politiques du pays a volé en éclats depuis l’arrestation de Ramgoolam. Cet accord de non-agression reposait sur le fait qu’un grand déballage sur les petits secrets financiers des uns et des autres n’allait aboutir qu’à un seul résultat : une escalade dans les révélations. Jusqu’à jeter le discrédit sur toute notre classe politique. Les scrupules des uns ont disparu, ceux des autres ne sauront tarder…

En effet, samedi, Navin Ramgoolam a plaisanté à demi sur un éventuel « dossier orange » en sa possession. L’allusion n’est sans doute pas anodine. Car à la faveur des jeux d’alliances, le leader (en congé) du PTr a pu développer une connaissance intime des finances du MSM, du MMM et du PMSD ainsi que des financial standings de leurs principaux dirigeants. A ce titre, Ramgoolam est sans doute un témoin privilégié de la réalité des financements politiques – et de la diversité de leurs sources – à Maurice et à l’étranger. A travers ses auditions, il pourrait donc demain aider la nation à mieux comprendre les mœurs financières de notre monde politique.

Navin Ramgoolam contribuerait alors de manière décisive à la salubrité politique de notre pays. Avec l’aide d’Heman Jangi et de ses collègues qui, nous n’en doutons pas, travailleront avec toute la célérité voulue à enquêter sur d’éventuelles révélations de Navin Ramgoolam. Si celui-ci met, par exemple, la police en présence d’éléments indiquant que des fortunes proches de celle découverte à Riverwalk existent dans d’autres coffres-forts du pays.

Ce serait là une formidable apocalypse politique que tout citoyen est en droit de souhaiter. Il y a, en effet, quelque chose de jouissif dans l’idée qu’une escalade de révélations pourrait aboutir à l’extinction d’une partie de notre classe politique actuelle. Contraignant les uns à la retraite et les autres à légiférer pour enfin doter le pays de lois efficaces, notamment en matière de financements politiques.

L’évolution a parfois besoin d’un coup de pouce. Puisque notre classe politique ne semble pas vouloir s’améliorer d’elle-même, elle a peut-être besoin d’un événement cataclysmique pour muer. La chute d’un astéroïde géant aurait précipité la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années. L’avalanche de Rs 220 millions précipitera, espérons-le, l’extinction de leurs descendants politiques.

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