Méthodiques, les policiers fouillent les sacs de tous ceux qui assistent à l’audition de Peroomal Veeren par la commission d’enquête sur les drogues. Si les autres témoins ont l’habitude d’arriver par la porte principale, c’est par une porte dérobée que le trafiquant fait son entrée sous une forte escorte du Groupement d’intervention de la police mauricienne (GIPM). Le t-shirt jaune couvert d’un gilet pare-balle, Veeren est encadré par trois officiers du GIPM encagoulés, dont un lourdement armé qui le suit.

Paul Lam Shang Leen donne le coup d’envoi de la séance, précisant au témoin qu’il a souhaité être entendu sur un certain nombre de sujets. Notamment le financement politique, la présence de téléphones en prison, ses avocats et la manière dont ils ont été rémunérés, ainsi que les réseaux d’importation et de distribution de drogue.

Le président de la commission s’apprête à questionner Veeren sur le premier sujet, mais celui-ci demande à faire une petite introduction. Il retrace brièvement sa vie, expliquant qu’il avait un emploi rémunéré et n’était pas un trafiquant de drogue à l’origine. Arrêté une première fois en 2002 dans le cadre d’une affaire de drogue, il affirme n’avoir jamais été pris en possession de stupéfiants.

C’est plus tard, en 2005-2006, que Veeren dit s’être lancé dans le trafic. «Zame mo ti enn trafikan ladrog andeor, mo’nn vinn enn trafikan dan prizon», confie-t-il en suggérant une réforme du système carcéral. Il poursuit : «Kifer mo’nn pran tou sa avoka-la ? Parski mo inosan. Mo’nn bizin vinn trafikan pou pey mo bann avoka.» Il s’en prend du coup à la police, qu’il accuse d’envoyer des «innocents» en prison mais de ne pas sévir contre ceux qui sont dans le trafic «à haut niveau» car «se enn konba ki’nn fini perdi, minis inplike ladan».

Drogue et politique

Lam Shang Leen le laisse terminer pour mieux le recadrer. C’est de financement politique par l’argent de la drogue dont il est d’abord question. Que sait-il sur la question ? demande l’ancien juge de la Cour suprême au témoin. Illico, Veeren explique que «boukou kass» a été dépensé durant la campagne électorale de 2014. Les bénéficiaires : Mahen Gowressoo, Geanchand Dewdanee et Pravind Jugnauth. L’affirmation suscite la stupeur dans la salle.

Qui sont les personnes qui ont financé le monde politique ? Geanchand Dewdanee, Navin Kistnah et deux de ses proches, affirme Veeren. «Oui», rajoute le détenu quand le président de la commission lui demande s’il a également financé des partis.

L’ancien juge enchaîne : est-ce dans une maison qui lui appartient et situé à St Pierre qu’une réunion s’est tenue durant la campagne électorale de 2014 avec un membre du MSM ? Veeren dément. Lam Shang Leen revient à la manière dont le financement s’opère. C’est donc à travers la contribution des responsables des réseaux que l’argent est reversé au parti ? Oui, confirme le témoin. Qui affirme avoir contribué Rs 25 millions à Rs 30 millions pour le financement politique. A-t-il donné à un seul parti ? cherche à savoir le président de la commission. «Wi, ena mo bann avoka dan gouvernman-la.»

Le réseau Veeren

Lam Shang Leen veut en savoir davantage sur le réseau Veeren. Nous avons entendu dire que vous êtes un «parrain», lance-t-il. « Si mo ti enn parin, mo mama pa ti pou res dan lakaz lokater», rétorque le Veeren. L’ancien juge cherche à comprendre qui fait partie du réseau du témoin, mais celui-ci reste évasif. Il cite les noms de Very Good ou Siddick Islam. Ils font partie d’un autre réseau, affirme le témoin.

Et la saisie record de 157 kilos de drogue au port, y est-il mêlé ? «Mo pena sa kapasite pou investi otan-la, me ena dimoun investi», précise Veeren. Il évoque la manière dont le réseau est divisé : il y a les financiers, ceux qui réceptionnent et divisent la cargaison, et enfin ceux chargés de la revente.

Qui finance l’achat ? questionne Lam Shang Leen. La réponse de Veeren plonge à nouveau la salle dans la stupeur : «Pravind Jugnauth, Mahen Gowressoo et Geanchand Dewdanee.» Le président de la commission le reprend immédiatement : «Ou ena prev?» Veeren tâtonne et explique à nouveau la manière dont les responsabilités sont partagées au sein du réseau.

Incapable d’en tirer davantage de Veeren, l’ancien juge s’intéresse du coup à sa relation avec Navin Kistnah. Celui-ci a dit beaucoup de choses sur le témoin, rappelle Lam Shang Leen. Le ton de son interlocuteur monte.«Ki lintere zot ena ek Kistnah ? Zot inn amenn li pou pran sarz, ti fini negosie ar li an-avans. Zot inn detrir so paspor, li’nn rant dan pei san enn paspor, li pou zet tou lor mwa, normal sa.»

«Allégations» contre «immunité»

Lam Shang Leen n’en démord pas et questionne le témoin sur ses relations avec le suspect dans l’affaire de la saisie record de drogue au port. Veeren décrit Kistnah comme un «camarade», qui a acheté un camion comme outil de distribution de drogue. «Mo met lapolis o-defi. Pa pou gagn ladrog ar Kistnah. Li’nn fer fos alegasion pou gagn iminite», avant d’incriminer deux proches du suspect.

Le réseau Veeren intéresse toujours la commission. Lam Shang Leen lui énumère une liste d’une dizaine de noms, lui demandant à chaque fois si la personne fait partie de son réseau. Aucune confirmation de la part du témoin, juste une succession de «mo konn li», «li enn kamarad ek mwa» ou «mo pa konn li».

Et Blacka ? poursuit le président de la commission. Veeren confirme que c’est l’un de ses hommes de confiance qui «ena boukou kas» sans admettre que c’est le sien. En face, on ne lâche pas l’affaire. «Li’nn avoy ou mesaz, ou oule mo lir li?» embraye Lam Shang Leen. Veeren proteste : «Li kapav pa adrese a mwa.» Il lit le sms envoyé à Veeren où Blacka évoque des sommes allant jusqu’à Rs 445 000 qui lui ont été remises. Le témoin persiste : le message ne lui était pas adressé.

Lam Shang Leen essaie de contrer la réticence de Veeren en détendant l’atmosphère. «Blacka ape rann ou kont komie kas pe rantre.» Le trafiquant de drogue répond de la même manière : le message ne lui était pas adressé. La piste mauricienne se révélant infructueuse, Lam Shang Leen exploite le filon sud-africain.

 «Lerwa»

L’ancien juge évoque les communications régulières entre le témoin et une ressortissante de l’Afrique du Sud inquiétée dans une affaire de drogue. «Li posib», confirme Veeren explique qu’il «gard enn relasion» avec la Sud-africaine, une fois celle-ci repartie dans son pays. «Bien intim plito… bann mesaz mo pe lir la», lance Lam Shang Leen avec un sourire narquois. Un peu gêné, Veeren laisse passer les sourires dans la salle.

Le traitement de Veeren en prison suscite désormais la curiosité de Lam Shang Leen : «Dan prizon, zot di ou lerwa. Kan ou fini begne, bizin amenn serviet koumsa pou ou.» Les bras écartés, le président mime une personne tenant une serviette ouverte. La question agace le témoin. L’ancien juge le reprend, lui demandant de dire si c’est vrai ou faux. Faux, affirme Veeren. Il n’a pas non plus de repas spécial en prison. Avant d’expliquer que Vinod Appadoo en a après lui. Mais a-t-il une photo du commissaire des prisons dans sa cellule ? Non, mais il en a une dans son carnet. «Parski li ti aret mwa, pa pou execute li nanye sa», se défend le témoin.

Mais il y a bien des officiers de la prison avec lesquels il s’entend bien, interroge l’ancien juge. Veeren confirme, ce qui conduit le président de la commission à lui lire une liste de noms. Son «non, mo pa konn zot» fait perdre patience à Lam Shang Leen. «Gaspiyaz mo al lir leres!» s’emporte-t-il en se rabattant à nouveau sur les communications du témoin. De la liste d’une dizaine de pays qu’égrène le président, Veeren confirme avoir appelé des numéros en Afrique du Sud et possiblement à Madagascar.

Le carnet de Veeren

Lam Shang Leen change à nouveau de sujet et s’intéresse désormais au carnet de Veeren. Ce dernier révèle qu’en fait, le carnet ne lui appartient pas mais est celui de son «bon kamarad» décédé. «An lerla, oun vinn zeritie.» Veeren et toute la salle rigolent de la boutade du président de la commission. «Mo pa responsab tou saki ena dan diary-la», s’exonère-t-il.

Le prochain gros morceau de l’audition concerne la présence de téléphones portables en prison. «Sef ki amene, par 40 enn sel kout», révèle le témoin. Ce qui ne manque pas d’attiser la curiosité de son interlocuteur. «Bann telefonn-la ? Ena Facebook tou ladan? Bann gro telefonn smartphone la sa? Whatsapp? Ou fer ?» Oui, confirme Veeren, qui explique qu’un smartphone coûte environ Rs 25 000 en prison. Mais le témoin affirme ne pas avoir de téléphone car celui-ci serait facilement saisi. Il explique donc devoir recourir au téléphone mis à la disposition des détenus par l’administration pour communiquer.

La présence de drogue en prison suscite la curiosité de Lam Shang Leen par la suite. Le témoin explique que portables et drogues arrivent en prison en même temps. «Kan zot amenn portab, zot amenn ladrog ansam», dit-il en remettant une liste de numéros de téléphone à la commission dont ceux des «chefs» qu’il a évoqués plus tôt.

Bangladais et gardiens de prison

Mais Veeren dit avoir volontairement crypté les numéros de téléphones remis et explique à Lam Shang Leen quels numéros intervertir pour obtenir les vrais numéros de téléphone sur la feuille. L’ingéniosité du détenu semble faire son petit effet sur l’auditoire. Mais pas sur le président de la commission. Après avoir examiné la liste, il rend son verdict. «Pa pe konpran», s’agace-t-il en remettant la feuille à Veeren à qui il demande de réécrire les numéros convenablement. Celui-ci s’exécute. Ce qui lui prend quelques minutes.

Les numéros de téléphones utilisés par Veeren lui sont communiqués. Mais celui-ci affirme qu’ils ne lui appartiennent pas. Lam Shang Leen vérifie du coup s’il connaît une personne, au nom à la consonance étrangère. Le témoin explique ne pas la connaître mais dit comprendre où le président veut en venir. «Pa koumsa sa. Pa morisien ki oper sa. Ena enn rezo bangladeshi. Dewdanee tou sa la, zot rod bann bangladeshi pou anrezistre SIM card.»

Délaissant les cartes sim et les téléphones, l’ancien juge reprend ses questions sur les réseaux de trafiquants. Siddick Islam, Sada Curpen ou Gro Derek ne font pas partie de son réseau, explique le détenu qui précise ne pas vouloir «parler pour les autres». Il rigole toutefois volontiers quand Lam Shang Leen lui explique avoir compris que Veeren jouit d’une bonne réputation parce qu’il accepte volontiers d’offrir des «discounts» à ses clients.

Et quid de la drogue que Veeren reçoit en prison ? Ce sont les gardiens de prison qui agissent comme passeurs, confie-t-il. Les noms, le détenu dit les avoir déjà rédigés sur le bout de papier remis à la commission d’enquête, il y a quelques minutes.

«Pa mo rezo sa»

Après les gardiens de prison, la commission d’enquête s’intéresse à la flopée d’avocats dont Veeren a retenu les services au fil des années. Par exemple, comment le témoin est-il entré en contact avec Yousuf Mohamed ? «Mo madam ti al get li», affirme-t-il en précisant que c’est sa femme qui l’a payé. Avec quel argent ? «Il faudra le lui demander.»

Veeren en profite pour en dire un peu plus sur des avocats. Il y en a qui ne prennent pas d’argent de la drogue. «Ena ki ena etik, zot pran chek, mwa mo pa done.» Mais a-t-il directement payé un avocat avec l’argent de la drogue ? Oui, confirme Veeren, qui explique que c’était le cas avec Hervé Duval Jr. Le dernier avocat à être venu voir le témoin toutefois, Akil Bissessur, n’a toujours pas été payé : « Dwa li kas la.»

Lam Shang Leen égrène les noms des avocats qui ont représenté Veeren à un moment ou un autre : Raouf Gulbul, Rama Valayden, Gavin Glover, Roubina Jadoo-Jaunboccus, Neelkanth Dulloo. Veeren reste évasif sur leurs honoraires et comment ils ont été payés.

On rebascule sur ce qui se passe en prison. Lam Shang Leen veut savoir comment Veeren écoule de la drogue en prison. Celui-ci affirme ne pas le faire, expliquant que d’autres personnes, dont il ne connaît pas l’identité, en vendent. «Ou rezo travay deor?», questionne du coup le président de la commission. «Pa mo rezo sa, ena boukou dimoun ladan. Mo form parti ladan. Mo pa ti ladan, mo’nn bizin fer trafik pou pey avoka.»

Complicités à «haut niveau»

Un des deux assesseurs de la commission, Dr Ravind Kumar Domun, prend le relais, cherchant à connaître l’ampleur du trafic de drogues dans le pays. Veeren explique que ce sont les complicités à «haut niveau» qui ont favorisé le trafic. Tour à tour, il explique que la saisie record de drogue dans le port représente 3 mois de la consommation nationale en drogue. Mais aussi que Maurice n’est pas un centre de réexportation et que, par conséquent, les drogues saisies sur le territoire sont en fait pour la consommation dans le pays.

Evoquant à nouveau ses frottements avec le monde politique, Veeren explique avoir été convaincu de financer le MSM par Dewdanee. «Zot dir finans li, li pou reouver to case kan li vinn Premier minis.» Sam Lauthan, l’autre assesseur de la commission, reprend le témoin au sujet de ce qu’il a dit plus tôt. «Ou’nn dir ena minis inplike, ki sa bann minis-la?» Veeren persiste et cite à nouveau Pravind Jugnauth, Geeanchand Dewdanee et Mahen Gowressoo. « Mo pena konfians ek politisien, mo’nn bat ek bann dimoun ki’nn promet inpe zafer, me dan vid.»

S’étonnant du grand nombre d’appels (854) passés par Veeren vers l’Afrique du Sud, Lauthan demande au témoin si c’est de là que provient la drogue qu’il écoute. «Non, de l’Afghanistan», révèle-t-il. Et cela lui a permis d’accumuler quelle somme d’argent ? « Boukou milion.» L’assesseur cherche à savoir où est l’argent, Veeren tente de s’en sortir par une petite rigolade, mais devant l’insistance de Lauthan, il se livre un peu. L’argent est dans un compte à l’étranger. «A Abu Dhabi ?» Oui, sourit le trafiquant. «Lor ki nom?» questionne Lauthan. «Pa pou kapav dir.»

En fin d’audition, le Dr Domun tente en vain d’interroger Veeren sur les liens entre le millieu des courses hippiques et les trafiquants de drogue. Mais le témoin dit ne rien savoir car n’étant pas un amateur de paris hippiques.

Au bout de près de 3 heures d’audition, la séance du jour tire à sa fin. Remballant ses dossiers, Paul Lam Shang Leen reprend Veeren avant que les officiers du GIPM ne le menottent à nouveau. «Mo déçu parski mo ti panse ou pou donn plis informasion.».

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