Ameenah Gurib-Fakim est revenue ce mardi 21 août sur les pressions exercées par les membres du gouvernement de l’Alliance Lepep afin qu’elle rende son tablier en tant que présidente de la République. Ce, dans le sillage des révélations du quotidien l’express quant à la carte de crédit de Planet Earth Institute (PEI) qu’elle a utilisée pour l’achat de bijoux.

Face aux juges Asraf Caunhye et ses deux assesseurs dans le cadre de la Commission d’enquête instituée pour se pencher sur les décisions qu’elle a prises lors de son bras de fer avec l’Hôtel du gouvernement, Ameenah Gurib-Fakim a expliqué que le Premier ministre, le Deputy Prime minister et le ministre mentor l’ont invité à prendre la porte de sortie. Elle déclare avoir refusé et c’est ainsi qu’elle a fini par consulter l’avoué Gilbert Noël par l’entremise d’une amie de l’université de Maurice, Roubina Jowaheer.

«C’est la première fois que je rencontrais Gilbert Noël. Il s’est présenté au Réduit le 9 mars», précise l’ex-présidente. Il lui a expliqué que la publication de ces relevés bancaires était une entorse à la Banking Act et à la Data Protection Act. L’homme de loi l’a ainsi invitée à servir une mise en demeure à la Barclays. «Comment une mise en demeure allait-elle vous aider ?» lui a demandé le juge Asraf Caunhye. «Je ne sais pas. Pour obtenir réparation, je présume», a répondu Ameenah Gurib-Fakim.

Elle a aussi fait ressortir qu’elle a fait comprendre au Premier ministre le même jour qu’elle ne voyait pas pourquoi elle devait démissionner, car elle estimait n’avoir rien commis d’illégal en utilisant la carte de PEI. Elle a ajouté que sa priorité, à ce moment précis, était de laver son honneur et que la question de sa démission devait être débattue après le départ du président indien, invité aux célébrations du 50e anniversaire de l’Indépendance.

Ameenah Gurib-Fakim déclare qu’elle a été bouleversée lorsqu’elle a appris que le Premier ministre a tenu une conférence de presse pour annoncer son départ. C’est là qu’elle a posté deux tweets pour signaler qu’elle était toujours en poste. [suite de l’article après la vidéo]

L’ex-présidente de la République a fourni d’autres détails sur les événements survenus avant sa démission. Face à la Commission Caunhye ce mardi, elle a encore une fois cloué son avoué au pilori. Le 16 mars, lors d’un déjeuner avec Gilbert Noël, celui-ci lui a suggéré l’idée de venir avec une Commission d’enquête qui laverait son honneur. «Je l’ai écouté. J’étais sous pression. J’étais comme une paria. Torriden Chellapermal, la personne qui s’occupait de ma communication, était en congé. J’ai dû me tourner vers un ami au Ghana pour m’aider à rédiger le communiqué qui avait été émis le 14 mars. Personne à la State House n’y a collaboré», ajoute Ameenah Gurib-Fakim.

Après les célébrations du 12 mars, la communication entre le gouvernement et le château du Réduit était coupée. Le 13, Gilbert Noël voulait mettre la dernière main à la mise en demeure contre la Barclays. Quand le communiqué du 14 a été émis, Yousuf Mohamed a proposé son aide à travers la presse. Un certain Junaid Al-Khalifa, que Gurib-Fakim connaît, a appelé pour la présenter à l’avocat. Ils sont venus à la State House en compagnie de Nadeem Hyderkhan. Yousuf Mohamed lui a suggéré d’écrire une chronologie des événements pour les besoins d’un affidavit.

L’ex-présidente souligne qu’elle a interrogé le Senior Counsel quant à son avis sur la mise sur pied d’une Commission d’enquête. Il lui a expliqué qu’il devait réfléchir sur la question. Le 15 mars, le Premier ministre n’est pas venu au Réduit pour leur rencontre hebdomadaire et il a fait état de la mise sur pied d’un tribunal contre elle. Elle a appelé le commissaire électoral Irfan Rahman qui lui a suggéré de démissionner. Tout comme l’avocat Dick Ng Sui Wah qui s’est rendu au Réduit plus tard dans la journée.

C’est alors qu’elle a contacté Gilbert Noël pour discuter de l’institution d’une Commission d’enquête. Celui-ci a souhaité l’aide de Yousuf Mohamed, mais le ténor du barreau délégué son «junior», Nadeem Hyderkhan. Les deux sont venus au Réduit le lendemain matin pour rédiger les «terms of reference» de la Commission d’enquête. Gilbert Noël a suggéré le nom de sir Hamid Moollan comme président et l’a contacté. «Je l’ai aussi aussi appelé. Il a accepté de présider cette Commission d’enquête et qu’il le fera en écrit dans la journée», ajoute Ameenah Gurib-Fakim.

Elle a aussi appelé Hervé Duval Jr ce jour-là et il a accepté de la représenter dans l’éventualité d’un tribunal institué contre elle. Dans la mi-journée, Yousuf Mohamed l’a contacté pour lui demander de «hold on» avec la Commission d’enquête, car il devait discuter avant tout avec sir Hamid Moollan. «No you can’t do it, but tactically you can», lui a-t-il lancé lorsqu’elle l’a eu au téléphone lors d’un troisième appel. «Go ahead», m’a-t-il dit quand je lui ai demandé :«Can I proceed ?»

Après la publication du communiqué relatif à l’institution de la Commission d’enquête sur les permis obtenus par Alvaro Sobrinho, déclare Ameenah Gurib-Fakim à la Commission Caunhye, le bureau du Premier ministre lui a adressé une lettre. La violation de la Constitution y est évoquée. D’une voix cassée, elle explique que ce n’est qu’après avoir démissionné qu’elle a vu les courriels échangés entre l’avoué et l’avocat Hervé Duval. Qui avait expliqué en des termes non équivoques qu’il n’était pas favorable à la mise en place d’une commission d’enquête.

«Vous n’avez donc pas compris que la présidente de la République ne peut décider de l’institution d’une Commission d’enquête sans l’aval du Conseil des ministres ?» demande Asraf Caunhye. «Je l’ai compris le 10 avril», répond Ameenah Gurib-Fakim. «D’après le message d’Hervé Duval, il est clair qu’il a donné un avis légal que M. Noël ne vous a jamais communiqué», lance le juge. «Oui, si j’avais été avertie, j’aurais pris une autre décision», répond-elle. «Je pensais que l’avis qui m’avait été donné était le bon», enchaîne-t-elle.

«Je n’ai pas appelé Gilbert Noël. Quand j’ai reçu la lettre du PMO, j’étais bouleversée. It was the straw that broke the camel’s back. I was alienated, completely shut out. I knew that the Commission of inquiry was quashed. I have read the Constitution as a layman when I was sworn in. I never got any coaching about what a president should do. I had to rely on my own reading of it», lance Ameenah Gurib-Fakim à une question du juge Caunhye.

Le 17 mars, Yousuf Mohamed s’est présenté à la State House avec Nadeem Hyderkhan et Gilbert Noël pour lui demander de démissionner, ayant de «serious information» sans dire davantage. La scientifique explique qu’elle était dans tous ses états, les titres des journaux du matin parlant de tentative de coup d’Etat et d’usurpation de pouvoir de l’exécutif. Elle a alors demandé à son époux de la rejoindre, lequel l’a invitée à contacter Pravind Jugnauth, mais le Premier ministre était injoignable.

Elle a alors appelé l’avocat Gavin Glover qui l’a enjoint de démissionner «due to circumstancial evidence». Elle s’est donc tournée vers Yousuf Mohamed qui est revenu au Réduit pour l’aider à rédiger sa lettre de démission. «I was not in the right frame of mind», a-t-elle répondu à Asraf Caunhye qui lui a demandé si elle n’a pas confronté Gilbert Noël lorsqu’il s’est amené avec l’avocat.

Les auditions de la commission d’enquête se poursuivront ce jeudi 23 août avec le Senior Counsel Yousuf Mohamed.

Les dépenses de la carte de crédit PEI de Gurib-Fakim examinées ce lundi 27 août

Jaysen Nundoosingh, head of Premier banking à la Barclays, n’a pas fourni une foule d’information à la commission d’enquête. Celui-ci a déposé devant les juges Asraf Caunhye, Nirmal Devat et Gaitree Jugessur-Manna un relevé des transactions effectuées sur la carte de crédit fournie à Ameenah Gurib-Fakim par Planet Earth Institute durant la période allant du 9 septembre 2016 au 23 mars 2017. Date à laquelle l’ancienne présidente de la République a annulé la carte.

Le Head of Wealth and Premier Banking de la Barclays n’a pas été en mesure de détailler chacune des transactions sur le relevé de la carte de crédit, que ce soit pour les paiements que pour les sommes créditées sur la carte. C’est donc ce lundi 27 août que Nundoosingh sera à nouveau audité. Il devra alors donner à la commission d’enquête la somme totale des paiements effectués sur cette carte de crédit. Ainsi que le montant total des sommes qui y ont été créditées en précisant dans chaque cas de quel(s) compte(s) ces sommes ont été créditées.

Plus tôt, Jaysen Nundoosingh a toutefois confirmé que l’intégralité des sommes dues sur les transactions qu’elle a effectuées ont été réglées quand Ameenah Gurib-Fakim a annulé sa carte.

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