Roshi Bhadain et ses milliers de minions d’un côté. Ezra Jhuboo et les trois autres mousquetaires rouges de l’autre. Les jours écoulés ont été placés sous le signe de la révolte des jeunes dans le monde politique. Avec une revendication principale déclinée en deux temps : il faut leur faire davantage de place ; et par conséquent leur permettre d’installer de nouvelles pratiques au sein de leurs formations respectives. Malheureusement, c’est plus facile à dire qu’à faire.

D’ailleurs, précisons ce que nous comprenons par « jeunes ». Car nos politiques ont pris la fâcheuse habitude d’étendre insidieusement le champ de la jeunesse. On présente donc volontiers un quadragénaire ou un quinquagénaire comme un jeune. Ce faisant, on confond souvent aussi rajeunissement et renouvellement. Ainsi, au-delà de l’envie ou du besoin de Shakeel Mohamed d’être promu deputy leader des travaillistes, Ezra Jhuboo, Osman Mahomed et Ritesh Ramful font front pour que ce ne soit pas une clique de béni-oui-oui – existant par et pour Navin Ramgoolam – qui dirige les manœuvres et la stratégie du parti de la clé.

Chez les rouges, l’enjeu est surtout celui du renouvellement. Une illustration suffit : Dhiraj Khamajeet, élu rouge jusqu’en 2014, a été rejoint récemment par Rama Valayden au bureau politique. Or, si l’avocat est plus âgé que l’ancien député, il prône toutefois la remise en question du statu quo au sein du parti. Une attitude que Khamajeet, pourtant plus jeune, ne partage pas. Peut-être en raison de son trop grand respect pour son mentor Anil Bachoo.

Loin des guéguerres internes des travaillistes qui se complaisent à tourner en rond en espérant que la fadeur de la performance gouvernementale fasse le reste, des jeunes s’impatientent. On a souvent affirmé qu’ils ne s’intéressent pas à la politique. Mais il n’y a rien de plus faux. Nous pouvons assez facilement le démontrer. Plus de 60% des 170 000 personnes qui suivent la page Facebook d’ION News ont moins de 35 ans. C’est également le cas pour ceux qui regardent nos vidéos sur YouTube. Dans la semaine du 22 au 28 janvier, en pleine passation de pouvoir sir Anerood-Pravind Jugnauth, nous avons battu un nouveau record d’audience. Sur YouTube et à travers nos lives sur Facebook, nos vidéos ont été vues près de 650 000 fois [voir les statistiques ici et ]. Deux tiers de cette importante audience avaient moins de 35 ans !

Les jeunes s’intéressent donc à la politique. Mais on les sait défiants des partis politiques installés. En l’absence d’une étude approfondie et fiable sur ce qu’ils attendent des formations politiques, on peut seulement postuler qu’ils ont plus ou moins les mêmes aspirations que ceux vivant dans d’autres démocraties. C’est-à-dire : bénéficier d’une éducation de qualité obtenir un emploi stable et rémunérateur ou pouvoir fonder son entreprise ; faire baisser la corruption et promouvoir la bonne gouvernance ; et enfin, vivre dans un environnement sauvegardé et sûr.

Tout cela ne constitue toutefois qu’une shopping list qui ne peut se concrétiser qu’à travers des actions politiques concrètes. L’adhésion que suscite le Reform Party semble indiquer que des jeunes souhaitent militer. Mais il faut se rendre à l’évidence : cette jeunesse qui veut « faire de la politique autrement » chez Bhadain, Rezistans ek Alternativ ou dans une de nos formations mainstream va au-devant d’une série d’épreuves et de désillusions possibles. Car loin de la vision romantique des idéalistes, la politique requiert une somme de compétences, de connaissances et d’attitudes.

De la rigueur, des jeunes en ont sans doute à en revendre. A l’heure du copy/paste/edit – pas que des logos –, de nombreux jeunes bien formés sont capables de comprendre et de synthétiser les problématiques du pays. Il n’y a rien d’étonnant donc qu’ils trouvent, adaptent et proposent de nouvelles idées pour régler les petits et grands soucis auxquels font face les citoyens. Les partis ont besoin, non pas de quelques-uns, mais de nombreux jeunes susceptibles de formuler les nouvelles politiques aussi bien dans notre système financier que pour trouver des solutions plus durables au problème de l’eau dans le pays.

Adhérer à un parti entraîne de facto le respect et l’obéissance à sa discipline, voire de la direction tracée par son leader. Même les partis de gauche, qui revendiquent une structure décisionnelle très déconcentrée, subissent les diva moments de leurs leaders qui n’en ont toutefois pas le titre formel. Il faut donc s’imaginer la déférence due aux leaders dont les partis sont construits et gérés autour d’eux ! Mais habitués à pouvoir [presque] tout dire ou faire en solo, surtout sur les réseaux sociaux, combien de jeunes peuvent-ils prétendre s’adapter à leur nouvelle situation sans sombrer dans la frustration pour ensuite partir, dépités ?

On ne le dit pas assez : se lancer en politique requiert, à des degrés divers, un certain nombre de sacrifices. Ils sont financiers pour ces membres qui cotisent pour faire fonctionner leurs partis. Certains ne voient aucun mal à reverser 10% de leurs revenus à leurs églises. D’autres s’offusqueront de devoir en faire de même, voire davantage, pour leur parti. Il faut ajouter à cela que les pouvoirs en place ou leurs laquais installés jusque dans le secteur privé s’arrangent souvent pour compromettre – peu ou prou – l’avancement professionnel, financier ou entrepreneurial des nouveaux opposants. Tous les jeunes ne sont pas prêts à consentir à ce type de sacrifice.

Enfin, et il faut l’admettre, ils sont nombreux à faire le saut en n’ayant qu’une culture politique anémique. Une étude de l’Institute of Social Development and Peace, réalisée en 2014, avait démontré à quel point de nombreux jeunes ont une connaissance parcellaire de nos institutions ou de notre système constitutionnel et électoral. A cela, il faut ajouter un déficit prononcé de connaissance de notre histoire politique.

S’ils ne doivent pas être des érudits, les jeunes se lançant en politique doivent bien comprendre ce qui s’est produit jadis. Pour mieux s’en inspirer ou s’en éloigner. De même, une bonne connaissance institutionnelle permet de mieux envisager les réformes et moyens de mise en œuvre pour que le citoyen soit mieux aidé ou pris en charge par les institutions publiques.

Il est triste, toutefois, de constater que la plupart des jeunes s’impliquent sans vraiment comprendre dans quoi ils s’embarquent. Il fut un temps, le MMM et d’autres partis – dans une moindre mesure – formaient leurs militants aux grands courants de pensée économiques et politiques mais aussi à l’histoire. Rien de tout cela n’existe désormais. Or, l’enthousiasme et la bonne volonté n’ont jamais suffi pour réussir en politique. Les jeunes qui se lancent actuellement en feront l’amère expérience si leurs directions respectives ne les préparent pas mieux à la campagne électorale qui a déjà débuté.

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