Navin Ramgoolam et Paul Bérenger auront beau affirmer que leurs explications sur la 2e République et le partage des pouvoirs entre le Premier ministre et le Président de la République dans ce système ont été comprises, ce n’est pas le cas. Au-delà des zones d’ombre de ce partage – notamment sur le contrôle des pouvoirs du président –, les deux hommes butent sur une résistance plus fondamentale. Notre Constitution, quasi-cinquantenaire, a habitué le citoyen à un système de gouvernement avec un seul patron à sa tête : le Premier ministre.

C’est autour de ce symbole que se sont jusqu’ici jouées toutes les élections générales à Maurice. Si on peut gloser sur la propension grandissante des électeurs à voter pour la compétence ou les programmes, c’est néanmoins le chef du futur gouvernement que l’électeur mauricien choisit avant tout. Les élections ont ainsi été des duels, opposant SSR à Duval ou SAJ, Nababsing à SAJ ou Ramgoolam à Bérenger.

Conscient de cela, Ramgoolam a développé depuis 1997 une redoutable capacité à représenter Paul Bérenger comme son pire adversaire politique. Durant des centaines de meetings, de réunions et de congrès, il a balancé les crochets et alimenté les préjugés envers Bérenger. Qu’il a tour à tour décrit comme un assoiffé du pouvoir ou proche d’une classe économique dominatrice. Cette posture a bien servi Ramgoolam. A tel point qu’il a développé de réels automatismes dont il a encore du mal à se défaire. Cela se manifeste parfois de manière drôle lors des rassemblements PTr-MMM. Quand, pris par son élan, Ramgoolam vocifère un « Bérenger » hargneux avant de se ressaisir et opter pour un « camarade Paul » plus sirupeux.

A quelques jours de la sortie du writ of election, Ramgoolam est ainsi une victime en puissance de sa propre stratégie passée de diabolisation de Bérenger. Le hic, c’est que ce stratagème a durablement convaincu quelques associations socioculturelles comptant parmi les plus radicales du pays. Celles-là posent désormais problème.

Elles en appellent à Ramgoolam, qui les enjoignait, il n’y a pas si longtemps, à ne pas « les pouvwar sap dan lame ». Aujourd’hui, elles lui rappellent opportunément qu’il ne peut y avoir « deux capitaines dans un bateau ». Le message est clair : peu importe qu’il soit président ou Premier ministre, Ramgoolam doit retenir tous les pouvoirs pour prétendre susciter l’adhésion de ces groupuscules dont l’influence, sans être massive, est néanmoins réelle et perturbatrice auprès d’une frange de l’électorat majoritaire.

Cette frange mal à l’aise est désormais l’alliée objective de l’Alliance Lepep qui sait que l’accentuation de l’incompréhension, voire de la méfiance, sur le partage du pouvoir entre  Ramgoolam et Bérenger joue en sa faveur. Les deux responsables de l’alliance PTr-MMM en ont pleinement conscience. Le Premier a déjà commencé les manœuvres de colmatage en louant le rôle des associations socioculturelles. Le travail se poursuivra lors de conciliabules discrets en coulisses. Pendant ce temps, sachant qu’il serait contre-productif de se mettre à dos la Voice of Hindu ou encore la Mauritius Sanatan Dharma Temples Federation, le chef des mauves riposte de manière feutrée face aux attaques contre sa personne et contre certains membres de sa hiérarchie.

La stratégie du dos rond a toutefois ses limites. Car plus Ramgoolam et Bérenger tarderont à rassurer les perturbateurs, plus ils courront le risque que ceux-ci se rangent du côté de celui qui veut incarner l’image d’un Premier ministre toujours tout-puissant : SAJ. Après, chacun pourra clamer que les organisations socioculturelles ne déterminent pas l’issue des élections. Restera alors à savoir qui prendra le risque de se les mettre à dos, convaincu de ses chances de gagner avec ou sans eux…

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