Le risque requin. Le manque d’informations essentielles autour du projet de Growfish. Et le conflit d’intérêts évident du ministère de la Pêche. Le tribunal de l’Environnement a retenu ses trois arguments en se prononçant contre le permis EIA (Environment Impact Assessment) accordé à l’entreprise aquacole. La décision dans le cadre de l’appel logé par l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim) ainsi que la Sea Users Association est tombé le 30 avril.

En l’absence de recherche sur la présence de requin dans la région, le tribunal de l’Environnement est d’avis que le ministère de la Pêche doit faire prévaloir le «principe de précaution». Attendre qu’il y ait des attaques pour agir est déraisonnable, argue le tribunal. «Nous nous interrogeons sur comment les ministres (…) ont pu être satisfaits qu’un permis EIA ait été accordé devant un tel vide en ce qui concerne le risque que les requins soient attirés par les fermes aquacoles et, par conséquent, vers nos côtes», écrivent Vedalini Phoolchund-Bhadain et ses deux assesseurs, Rangeet Bhagooli et Pravin Manna.

L’AHRIM s’inquiétait de l’augmentation de prédateurs attirés par les cages flottantes des fermes d’aquaculture de taille importante comme celles que Growfish proposait d’installer, ce qui aurait eu un impact négatif sur le tourisme, avait argué l’association.

Du reste, Growfish a faussement assuré dans sa demande de permis que le projet est «zéro risque», relève le tribunal de l’Environnement. «L’octroi du permis EIA est fait sur des bases fallacieuses».

Pour ce qui est des mesures correctives auxquelles Growfish s’est engagée, elles visent à protéger ses installations et, selon l’Ahrim, ne se préoccupent pas de l’incidence d’une augmentation de ses prédateurs dans les régions d’exploitation. Elles ont été jugées «dérisoires» par le tribunal au vu de l’envergure du projet, «qui est comparable à la taille de production en Chine», selon l’expert pour l’Ahrim.

Si l’exemple de La Réunion n’est peut-être pas tout à fait approprié à cause des différences de topographie entre les deux îles, il n’empêche qu’il y a des éléments en faveur d’un risque réel d’augmentation des requins. Cela place donc toute la question, non pas dans la «sphère des appréhensions» comme argué par le ministère, mais dans celle d’un «potentiel risque grave», a déterminé le tribunal de l’Environnement. Qui mentionne le fait que même l’expert de Growfish a reconnu que les requins seraient attirés par les fermes aquacoles.

Le tribunal a aussi retenu l’argument de l’Ahrim que l’EIA Committee n’était pas en présence de nouveaux éléments. Soit le fait que Growfish ait revu ses ambitions et son projet à la baisse, passant de quatre sites aquacoles à deux et d’une production de 100 000 tonnes sur dix ans à 40 000 pour la même période.

Enfin, le ministère de l’Economie océanique et de la Pêche est «en position de conflit d’intérêts», écrivent Vedalini Phoolchund-Bhadain et ses assesseurs. Le ministère est à la fois régulateur et agit comme expert technique au sein de l’EIA Committee. Il s’est prononcé en faveur du projet et s’est engagé, à travers un accord-cadre, à ce que les services de l’Albion Fishing Resource Centre (AFRC) soit à la disposition de Growfish «bien au-delà du conseil technique et doit impliquer l’AFRC complètement dans les opérations à terre», relève le tribunal. Or, le ministère de la Pêche est censé assuré le suivi de la mise en œuvre par Growfish des conditions rattachées au permis EIA. «La bonne gouvernance exige que le régulateur ne doit pas, de quelque manière que ce soit, être impliqué dans une décision ayant trait au sujet qu’il doit réguler !», fait ressortir le tribunal. Celui-ci a retenu les mêmes points dans l’appel logé par la Sea Users Association.

Lire le jugement dans son intégralité ici

Sur le même sujet

Facebook Comments